Thomas, directeur d’Ehpad suspendu : « A l’humiliation des soignants viennent s’ajouter la précarité, la discrimination et la stigmatisation »

mise à jour le 09/08/22

Sixième épisode de « Paroles de suspendus », Thomas, directeur d’Ehpad, dont la compagne aide-soignante est elle aussi suspendue. Cela fait un an que Emmanuel Macron a annoncé à la télévision l’une des mesures les plus honteuses de ces dernières décennies : la vaccination obligatoire pour le personnel soignant. Surtout depuis que l’on sait, de source officielle, que le « vaccin » n’empêche pas la transmission du virus… En leur donnant la parole, nous avons décidé de rendre hommage à notre manière à ces citoyens qui refusent de s’injecter un traitement en phase expérimentale pour conserver leur emploi.


Le Média en 4-4-2 : Bonjour Thomas, pouvez-vous vous présenter en 4-4-2, c’est-à-dire de manière concise et efficace ?

Thomas : Thomas, quarantenaire et diplômé infirmier depuis plus de vingt ans ; puis formé cadre de santé et formateur hospitalier il y a bientôt dix ans. Depuis je me suis formé à la direction d’ESMS (Établissements et Services Médico-Sociaux). J’ai occupé la fonction de directeur adjoint pour un grand groupe que j’ai quitté en pleine crise du covid, car en total désaccord sur la manière de traiter les personnes âgées et leurs familles dans le contexte du confinement. J’ai immédiatement été recruté sur une fonction de directeur d’Ehpad pour un autre groupe en plein essor. Suspendu le 15 septembre 2021 dans le respect de mon choix et des droits à la confidentialité sur ma santé.

Ma compagne est Anna, aide-soignante au début des années 2000, puis infirmière, puis IADE (Infirmier Anesthésiste Diplômé d’État) en intérim partout en France depuis des années. Non suspendue mais de fait, les sociétés d’intérim refusent de l’employer depuis le 15 septembre. D’ailleurs, un contrat signé avec un hôpital parisien fin août n’a pas été honoré, avant même la date butoir du 15 septembre. Elle leur a facilité les choses en ne contestant pas ce point et sans indemnité aucune.

Nous sommes sans revenus jusqu’au 15 octobre 2021, date à laquelle je prends des emplois CDD courts de saisonnier non qualifié, pour continuer à payer une partie de nos charges, tout en puisant continuellement dans notre épargne. Maison vendue. Rachat d’une maison beaucoup plus modeste dans laquelle nous ne pouvons toujours pas vivre, car trop de travaux. Précarisation de notre situation économique et sociale. Fin décembre 2021, notre épargne constituée pendant des années est tombée à zéro.

Le Média en 4-4-2 : Cela fait un an, le 12 juillet, que Macron a annoncé l’obligation vaccinale pour les soignants. Comment avez-vous appris cette nouvelle et quelle a été votre réaction ?

Thomas : Comme une grande majorité des soignants que nous côtoyons, nous étions devant notre télé pour entendre ce discours dont les tenants avaient déjà été évoqués par certains médias télévisuels et papier ; pour nous préparer je suppose. Mais cela nous a fait l’effet d’une bombe dans le cœur. Une grande partie de notre vie consacrée aux autres, à prendre soin et manager pour la qualité des soins, la relation aux patients ou résidents, à leurs familles. Ce fut, dans le prolongement de l’épuisement qui s’était installé depuis le début de l’épidémie en 2020, un point supplémentaire d’entrée dans un état de dépression psychique. Cette fois, cela remettait en question nos certitudes sur les sécurités que nous nous étions construites patiemment. Néanmoins nous avons parlé ensemble. Beaucoup. Nous avons repassé tous les principes soignants qui nous ont construits, mais aussi nous avons envisagé ce problème sous l’angle du citoyen et de ses droits (droits de première génération ou « droits de… » : liberté d’aller et venir, liberté d’expression, etc. mais aussi droits de deuxième génération ou « droits à… » : droit d’être soigné, consentement éclairé et liberté de choisir sa thérapeutique, confidentialité des informations médicales personnelles à l’égard des employeurs, principe de non-discrimination dans l’emploi, etc.).

Finalement, l’un comme l’autre, et indépendamment du choix de chacun, nous avons choisi de refuser cette vaccination obligatoire. En tant qu’infirmiers, nous avons toujours souscrit à la vaccination obligatoire dans le cadre de nos professions, comme le vaccin contre l’hépatite par exemple. Mais nous avons fait ce choix de la refuser cette fois, pour que chacun soit en face de ses responsabilités à l’égard de la discrimination générée. Au regard de notre situation économique actuelle, il nous apparaît que ce choix est lourd de conséquences et impacte aussi très directement nos enfants dans leur capacité à pratiquer des activités extra-scolaires. Mais le président l’avait annoncé : « Nous sommes en guerre ». Je comprends aujourd’hui ce discours et l’obligation vaccinale qui s’en est suivie, comme un sacrifice nécessaire pour le président. L’Histoire est jalonnée de sacrifiés…

Le Média en 4-4-2 : Le 15 septembre 2021, la vaccination a donc été rendue obligatoire pour vos professions. Et vous avez décidé de ne pas vous y soumettre. Comment cela s’est il passé avec vos employeurs ? Quand et comment avez-vous été suspendus ?

Thomas : Mon employeur a d’abord été bienveillant (au moins en apparence). Nous avons échangé, chacun depuis nos expertises professionnelles, puis progressivement, il a utilisé la suggestion et l’influence en essayant d’abord de me témoigner de la satisfaction de mon travail et en mettant en évidence les bons résultats pour le groupe. Puis il a utilisé son ascendant hiérarchique comme argument d’autorité en m’envoyant les statistiques d’État sur les contaminations, etc. Je me faisais tester par RT-PCR tous les deux jours, alors que la loi imposait un maximum de 72 heures. Mais je voulais à tout prix éviter de risquer de contaminer des résidents, des employés ou des familles, des proches. J’ai donc écouté les arguments d’autorité, je suis allé consulter ces données statistiques et j’ai fait le dos rond, en attendant un mouvement contestataire national peut-être, un positionnement du Défenseur des droits, du Conseil d’État ou du Conseil constitutionnel… en vain.

La DRH du groupe m’appelle de temps en temps pour me proposer une rupture conventionnelle. J’ai posé mes conditions à cette rupture en demandant le droit d’écrire aux familles des résidents et aux personnels pour expliciter mon choix de ne pas me vacciner, mon départ ayant été immédiat le 15 septembre, à la demande de mon employeur. J’avais aussi demandé à être dédommagé pour cette discrimination à l’emploi car il ne figurait pas d’obligation vaccinale dans mon contrat de travail initial. À ce jour, mon ancien employeur refuse tout en bloc, mais la DRH du groupe semble sincèrement préoccupée par notre situation familiale et par la dépression dans laquelle nous glissons, mois après mois.

Nous avons aussi investi quelques centaines d’euros en espérant une aide efficace auprès d’un avocat médiatisé à l’époque en espérant que le cadre de la loi pouvait aussi nous reconnaître des droits. Mais ce fut au mieux inefficace, au pire décevant du fait du peu de communication dans la durée. Rien n’a permis d’éviter la suspension, à défaut de se faire vacciner. Le 15 septembre 2021, j’ai pris mes derniers congés restants et j’ai prié pour que notre choix ne se révèle pas irresponsable dans la durée.

Le Média en 4-4-2 : Cela fait donc presque un an que vous êtes suspendus : comment cela se passe-t-il au jour le jour, maintenant que vous n’avez plus de revenu et que vous ne pouvez pas travailler ailleurs ?

Thomas : Ma compagne bénéficie un peu du chômage car elle n’a pas été suspendue au sens strict. Les sociétés d’intérim et les hôpitaux et cliniques ne l’appellent plus. Elle se voit offrir des emplois non qualifiés et très peu rémunérateurs en regard des très nombreuses années d’études qui ont fait sa formation d’aide-soignante jusqu’à IADE. Quant à moi, je prends tous les emplois saisonniers, mêmes précaires, pour participer avec ma compagne à garantir les besoins minimaux d’une famille avec enfants. Nos familles ne nous aident pas ; la plupart des proches sont convaincus que nous avons eu tort d’agir ainsi. Nos expertises de soignant ou de manager ne sont même plus reconnues dans le cercle familial. Bref, ce sont des positionnements complexes de part et d’autre. Mais nous n’avons aucun reproche à leur faire en ce qui concerne un choix que nous devons assumer. C’est notre responsabilité de refuser cette obligation vaccinale et ses conséquences. De là à penser que lesdites conséquences sont normales ?

Le Média en 4-4-2 : Le gouvernement ne semble pas vouloir réintégrer les suspendus… Comment voyez-vous votre avenir ainsi que celui de notre société ?

Thomas : Tout d’abord, il me semble important (ne serait-ce qu’en termes de reconnaissance de la souffrance vécue par tous) d’élargir ces suspensions aux personnels des secteurs sanitaires et médico-sociaux plutôt qu’aux seuls « soignants ». Parmi les suspendus, il y a aussi des pompiers ou des ambulanciers, des secrétaires médicales, etc. Je connais une employée de la CPAM suspendue elle aussi… Bref, le nombre est fonction des limites prescrites par la loi du 5 août 2021. D’ailleurs, on s’étonnera des divers chiffres qui circulent sur le nombre réel des suspendus, toutes professions confondues. Aucun organe officiel n’est en mesure d’en donner le chiffre ; aucune opposition parlementaire ne s’en émeut. Nous sommes devenus des citoyens invisibles.

L’avenir ? Il est sombre. Nous survivons encore mais dans quelques mois, nous ne serons plus à l’équilibre financier. De plus, la maison que nous avons achetée s’est révélée une arnaque (même si elle est superbe pour nous), car tout était à casser et à refaire (électricité, plomberie, isolation, etc.). Avant cette crise, nous possédions une maison de grande valeur dans un quartier prisé d’une ville de Nouvelle-Aquitaine ; aujourd’hui, nous avons une maison modeste mais impossible à réparer car les banques ne suivent plus, du fait de ces suspensions. Nos revenus et indemnités sont trop faibles et basés pour l’une sur le chômage et pour l’autre sur des CDD précaires de courte durée. Après cela… c’est le néant pour nous et le dernier enfant que nous avons à la maison.

Néanmoins, nous avons appris beaucoup et notamment à apprécier les plaisirs simples, les petites attentions qu’on se porte. La valeur des choses est beaucoup moins économique. Nous sommes de moindres consommateurs… En cela, nous avons appris beaucoup en effet. Passer de directeur d’Ehpad à des emplois saisonniers force à l’humilité. Et socialement, après avoir vu de nombreux collègues et amis s’éloigner progressivement, nous avons conservé quelques belles amitiés, avec une écoute attentive et une solidarité au moins dans les mots.

Quant à l’avenir de la société ? Je ne saurais dire. Pour paraphraser le Dr Raoult, je n’ai pas de boule de cristal… Mais c’est pour nous dans la continuité des changements perçus dès notre entrée sur le marché du travail il y a presque trente ans : une perte constante et progressive du pouvoir d’achat et de qualité de vie au travail. L’efficience et la rentabilité ont remplacé la probité et la congruence. Notre société me semble s’être progressivement acculturée à une philosophie morale toujours plus utilitariste, à l’anglo-saxonne. Autrefois membre du comité d’éthique d’un centre hospitalier, un philosophe invité m’a dit un jour que la morale n’est pas une valeur absolue, immuable mais un témoin de l’évolution de la culture d’une société humaine. Il y a près de soixante ans, mon père quittait l’école à 13 ans pour aider son père à la ferme et être soutien de famille pour ses frères et sœurs. Moi, j’ai eu l’opportunité, grâce à lui, de faire des études et de progresser socialement. Mais l’ascenseur social vient de se doubler d’un toboggan ; et nous glissons doucement vers la grande précarité plutôt que nous ne tombons en disgrâce sociale. C’est une forme de « flétrissure » du 21e siècle.

Je prie pour que les Français soient en vérité moins cyniques et insensibles à ces suspensions, que ce que j’entends ou je lis chaque semaine sur les médias, réseaux, Twitter et consorts. A l’humiliation des soignants viennent s’ajouter la précarité, la discrimination et la stigmatisation. La bonne question, pour nous, dans la continuité de votre questionnaire, serait : retourneriez-vous travailler avec vos collègues, si cette suspension était levée ? La réponse est loin d’être évidente aujourd’hui. Sans doute oui, par nécessité. Mais avec la peur du harcèlement au travail, chevillée au ventre.

Le Média en 4-4-2 : Merci Thomas pour le temps que vous nous avez consacré ! Nous vous laissons le mot de la fin.

Thomas : La réponse à cette crise n’est pas dans un recours à quelque tutelle extérieure. La réponse est dans le degré d’humanité de chacun : de l’intérieur vers l’extérieur. Merci au Média en 4-4-2 ; vous nous permettez de respirer un coup sur deux… Bon courage à tous !

Yoann pour Le Média en 4-4-2.

 

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