P. G. Wodehouse, l’écrivain inclassable qui a osé pratiquer l’humour en 1941 en Allemagne !

À la Libération certains écrivains ni résistants ni collaborateurs, ni politiquement lucides, ni même récupérables, ont subi diverses vicissitudes. Ainsi Ezra Pound (Le travail et l'usure) s'est-il retrouvé en hôpital psychiatrique, Henri Béraud (La Gerbe d'or) en prison. P. G. Wodehouse fait partie de ces inclassables. Avoir parlé de la Seconde Guerre mondiale avec humour — et en Allemagne ! — ne lui a pas été pardonné par certains, ce qui ne l'a pas empêché de rester extrêmement populaire.

mise à jour le 02/08/22

Ses histoires hilarantes d’un improbable couple de la société d’avant 1914 —  Bertie Wooster, un idiot de la classe dominante, et Jeeves son majordome impassible d’une intelligence supérieure — ont rendu Pelham Grenville Wodehouse célèbre. Il vivait au Touquet avec sa femme Ethel, lorsque les Allemands ont envahi le pays en 1940. Transféré dans un hôtel de Berlin (de luxe, mais à ses frais), il a diffusé des émissions.


Bien qu’il n’ait jamais exprimé de soutien ou de sympathie pour les nazis, ses émissions ont été mal accueillies en Grande-Bretagne, qui venait de subir le Blitz, les lourds raids aériens allemands de 1940 et 1941. Libéré par les nazis, il a été autorisé à retourner à Paris, où il se trouvait à la Libération. Il a été vilipendé au Parlement, interdit à la BBC et certaines bibliothèques ont retiré ses livres de leurs rayons. Il a dû s’exiler en 1947, aux États-Unis, et n’est jamais revenu en Grande-Bretagne. Pourtant, si les gouvernements des pays alliés étaient au courant de la solution finale dès 1941, en revanche les populations ne l’étaient pas. « Bien sûr, j’aurais dû avoir le sens de voir que c’était une chose folle à faire d’utiliser la radio allemande même pour les choses les plus inoffensives, mais je ne l’ai pas fait. Je suppose que la vie en prison sape l’intellect », a-t-il écrit dans une lettre. Des agents des services secrets britanniques du MI6 et du MI5 l’ont interrogé à plusieurs reprises. Dans un rapport resté secret jusqu’en 1980, ils ont conclu tous deux qu’il n’y avait aucune raison de le poursuivre.

Malgré sa « collaboration » radiophonique avec l’ennemi — dont les textes n’ont pas été publiés sur papier —, son succès est international. Il a écrit 90 livres de récits, plus de 100 autres récits en magazines, 400 articles, 19 pièces de théâtre, et 250 chansons pour 33 comédies musicales (pour Jerome Kern, Cole Porter, Ira Gershwin…). Aucun pourfendeur d’humour n’a réussi à briser sa carrière. De nos jours de bien-pensance et de Sleeping Giants, il se serait certainement trouvé un triste sire pour le ruiner. Un mois avant sa mort, la Couronne l’a honoré d’un titre de chevalier en 1975. Une plaque commémorative a été déposée en 2019 à l’abbaye de Westminster.

Voici un extrait de la première émission de la série Comment être un interné sans formation préalable de cinq émissions radiophoniques de Berlin en 1941. Il y faisait un compte rendu enjoué de ses expériences en tant que prisonnier des Allemands.

Les jeunes gens qui débutent dans la vie m’ont souvent demandé : « Comment puis-je devenir un interné ? » Eh bien, il y a plusieurs méthodes. La mienne a été d’acheter une villa au Touquet, sur la côte française, et d’y rester jusqu’à l’arrivée des Allemands. C’est probablement le système le meilleur et le plus simple. Vous achetez la villa et les Allemands font le reste.

Au moment de leur arrivée, j’aurais été tout aussi heureux s’ils ne s’étaient pas présentés. Mais ils ne l’ont pas vu ainsi, et le 22 mai, ils sont arrivés, certains à moto, d’autres à pied, mais tous manifestement prêts à passer un long week-end.

L’ensemble était très paisible et ordonné. Le Touquet a l’avantage d’être une sorte d’arrière-pays, hors de la ligne de marche. Si vous êtes une armée qui se dirige vers la côte, vous avez tendance à suivre la route principale jusqu’à Boulogne, et à ne pas prendre le premier virage à gauche lorsque vous atteignez Étaples. Les débats n’ont donc pas été entachés par de vulgaires bagarres. Tout ce qui s’est passé, en ce qui me concerne, c’est que je me promenais sur la pelouse avec ma femme un matin, quand elle a baissé la voix et dit « Ne regardez pas, mais voilà l’armée allemande ». Et ils étaient là, un beau groupe d’hommes, joliment vêtus de vert, portant des mitrailleuses.

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