Une simple étude pilote a permis de découvrir des produits chimiques responsables de cancers et de lésions organiques dans le corps des enfants vivant près de puits de fracturation hydraulique (NDLR : procédé permettant de produire du pétrole dès les premières couches du sol, image sympa ici) atteignent des niveaux jusqu’à 91 fois plus élevés que la moyenne américaine, et beaucoup plus élevés que les niveaux observés chez un fumeur adulte moyen.
Cela fait douze ans que la fracturation hydraulique a remodelé le paysage énergétique américain en général et une grande partie de la campagne de la Pennsylvanie en particulier.
Malgré des années d’études accablantes et de gros titres choquants sur l’impact de cette industrie — principalement sur les familles pauvres et rurales de l’État —, les gens qui vivent au milieu des plateformes pétrolières demeurent dans l’ignorance de l’impact de cette proximité sur leur santé et celle de leur famille. Une enquête de deux ans menée par Environmental Health News (EHN) visait à combler ces lacunes en mesurant l’exposition et les effets de ces produits chimiques présents à la fois dans l’air, l’eau et… le corps des habitants.
L’enquête : la méthodologie utilisée
À l’été 2019, nous avons recueilli des échantillons d’air, d’eau et d’urine de cinq ménages non-fumeurs du sud-ouest de la Pennsylvanie. Tous les foyers comprenaient au moins un enfant. Trois se trouvaient dans le comté de Washington, à moins de deux miles de nombreux puits de fracturation, pipelines et stations de compression. Deux se trouvaient dans le comté de Westmoreland, à au moins cinq miles du puits de fracturation actif le plus proche.
Sur une période de neuf semaines, nous avons recueilli au total 59 échantillons d’urine, 39 échantillons d’air et 13 échantillons d’eau. Des scientifiques de l’université du Missouri ont analysé les échantillons en utilisant la meilleure technologie disponible pour rechercher 40 des produits chimiques les plus couramment trouvés dans les émissions des sites de fracturation (d’après d’autres études de surveillance de l’air et de l’eau).
Un lourd tribut pour les familles
Il s’agissait d’une simple étude pilote, et nous ne sommes donc pas en mesure de tirer des conclusions scientifiques générales de nos constatations. Nous espérons cependant que nos résultats fourniront un aperçu de l’exposition environnementale que subissent les familles du sud-ouest de la Pennsylvanie et que ces données préliminaires aideront à ouvrir la voie à d’autres recherches.
Nous avons trouvé des produits chimiques comme le benzène et le butylcyclohexane dans des échantillons d’eau potable et d’air, ainsi que des produits de dégradation d’éthylbenzène, de styrène et de toluène dans le corps des enfants qui vivent près de puits de fracturation, à des niveaux jusqu’à 91 fois plus élevés que la moyenne américaine et beaucoup plus élevés que les niveaux observés chez le fumeur adulte moyen.
Les produits chimiques que nous avons trouvés dans l’air et dans l’eau — et à l’intérieur du corps des gens — sont à la source d’un large éventail d’effets nocifs sur la santé, allant de l’irritation de la peau et des voies respiratoires aux atteintes aux organes et au risque accru de cancer.
Mais ces histoires ne se limitent pas à une liste de produits chimiques difficiles à prononcer. Il s’agit aussi, par exemple, d’un père célibataire handicapé qui craint que ces expositions n’aient causé la maladie de son fils, mais qui n’a malheureusement pas les moyens de déménager ; d’une famille qui a déménagé pour échapper à une école entourée d’une multitude de puits, mais qui a été rattrapée par l’industrie qui l’a obligée une fois de plus à vivre à côté d’un nouvel ensemble de puits et qui est toujours exposée. Les modes de vie calmes de la campagne autrefois définis par des fermes idylliques, des collines vallonnées et de l’air frais sont maintenant submergés par la circulation de camions, l’industrie lourde et les communautés en désaccord sur l’opportunité de protester contre cette perte ou d’encaisser en louant leurs droits d’exploitation des sols.
Répercussions de grande portée
Aux États-Unis, la fracturation hydraulique est devenue un élément clé des débats nationaux sur le changement climatique et l’avenir énergétique des États-Unis. En Pennsylvanie, étude après étude après étude, les analyses ont révélé que les législateurs de l’État qui appuient la législation en faveur de la fracturation ont reçu de grosses sommes d’argent de l’industrie, alors que les sondages montrent qu’une majorité de résidents de la Pennsylvanie s’opposent à cette industrie. Dans le même temps, les analystes financiers s’inquiètent de l’endettement massif de l’industrie et de son avenir incertain, surtout après le Covid-19.
Pendant que les analystes financiers, les décideurs et les grandes sociétés se chamaillent au sujet des subtilités du débat sur la fracturation hydraulique, les familles qui vivent au milieu des puits jour après jour vivent dans la crainte constante de ce que l’industrie pourrait leur coûter – si elles avaient un autre enfant, devraient-elles craindre des malformations congénitales ? Ces expositions augmentent-elles le risque de cancer de leurs enfants ? Serait-il plus sûr de déménager dans un endroit éloigné de tout cela, même si cela signifierait aussi d’être loin de leur famille, de leurs amis et de leur collectivité ? Et même si elles pouvaient se déplacer, jusqu’où devraient-elles aller pour se sentir en sécurité ?
L’analyse de Environmental Health News a également révélé des intoxications inattendues, même chez les familles qui vivent plus loin des puits de fracturation dans le comté de Westmoreland, ce qui prouve que, dans le sud-ouest de la Pennsylvanie, le même bassin atmosphérique peut être considéré comme régional et que les répercussions de l’exposition aux émissions de l’industrie pétrolière et gazière vont probablement bien au-delà des gens qui vivent juste à côté des plateformes de puits.
Environmental Health News est une organisation non partisane primée qui se consacre à faire entrer la science dans le débat public et les politiques.
☞ Lisez la série en quatre parties ci-dessous et écoutez une entrevue avec la journaliste Kristina Marusic au sujet de la science et de l’enquête.
Partie 1 : Des produits chimiques nocifs et des molécules inconnues hantent les organes des Pennsylvaniens entourés par l’industrie de fracturation hydraulique.
Nos tests d’urine de cinq familles dans et près de la région des forages ont trouvé des biomarqueurs de produits chimiques dangereux chez les enfants à des niveaux beaucoup plus élevés que ceux observés chez l’Américain moyen.
Partie 2 : Le stress d’être cerné
L’omniprésence de l’industrie dans les régions rurales de l’Amérique entraîne des problèmes de santé mentale, y compris l’anxiété et la dépression parmi les habitants, créant dans les collectivités des dissensions difficiles à effacer.
Partie 3 : Méfiants envers l’industrie, abandonnés par les organismes de réglementation de l’Etat
Méfiants à l’égard des médecins, des entreprises de fracturation et des agences d’État, les habitants obtiennent peu de réponses à leurs appels à l’aide.
Partie 4 : Pris en sandwich par l’industrie de la fracturation mais luttant toujours et contre la pollution
Les activistes qui se consacrent à garder les puits de fracturation hors de leur petit canton ont réussi jusqu’à présent, mais la pollution par le pétrole et le gaz empiète régulièrement à mesure qu’un réseau dense de pipelines et d’infrastructures s’étend.
– Source : Sky-High Levels of Dangerous Chemicals Found in Kids Living Near Fracking Wells
– Source : Fractured: The body burden of living near fracking
– Traduit par Tanguy pour Le Média en 4-4-2