
Toutes ces questions ont été soulevées dans une vidéo du Hussard, postée le 19 janvier sur sa chaîne YouTube, « Le Goncourt escroque ta grand-mère. Voici sa méthode. »
Le Hussard — que je salue et remercie au passage — a fondé sa propre maison d’édition, La Giberne, ancien nom des cartouchières des soldats, et dans lequel le « Hussard » conserve un peu de son tabac. D’ailleurs, il fume trop. Cette maison d’édition œuvre pour « rendre à la littérature française un peu de la flamboyance qui a fait ses grandes heures ». C’est sur sa chaîne de « vulgarisation littéraire », créée en 2021, que le Hussard, en format court et percutant, nous parle d’histoire, de société et de littérature.
Il y a quelques jours, il s’attaquait au célèbre prix Goncourt, pour en révéler brièvement certains aspects – que l’on soupçonnait, mais derrière lesquels nous n’avions pas encore pris la peine d’aller jeter un œil. C’est à partir de sa présentation que nous avons poussé un peu plus loin les recherches.
Pour faire simple, selon lui, les prix littéraires les plus prestigieux sont tout bonnement une arnaque qu’il faudrait boycotter. Pour étayer son propos, il nous renvoie à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté (supposée) de la presse. À la fin du xixe siècle, donc, on a une presse qui gagne en indépendance et qui rencontre pas mal de succès. Dans le même temps, les lois Guizot de 1833 et Ferry de 1881 et 1882 (parachevées par la loi Goblet de 1886) augmentent le niveau et le taux d’alphabétisation de la population. Parallèlement, cette fin de siècle voit les techniques d’impression progresser, ce qui permet à un plus grand nombre de gens de lire. Le Hussard conclut qu’il s’agit de l’ouverture d’un tout nouveau marché dont les plus grandes maisons d’édition, comme Flammarion, Gallimard, Grasset, Hachette… vont pouvoir tirer profit en proposant des offres de plus en plus importantes. Les livres vont désormais abonder dans les librairies.
Le livre, objet culturel par excellence, est aussi un bien consommable, un article qui doit se vendre, sur lequel les éditeurs et les libraires misent pour faire du chiffre, de la rentabilité. Critique à son époque, André Gouillou, ancien journaliste autodidacte et militant, qui a exercé en tant que responsable des relations publiques du groupe Fnac, affirme : « On m’objectera bien sûr qu’une sardine est semblable à une autre, une boîte à une autre. Plus ou moins. Il y a des sardines de toutes tailles, de toutes qualités et quelquefois même inconsommables. Alors que le livre est toujours unique. Ce qui n’est pas vrai non plus. Il y a des livres qui se ressemblent étrangement. Selon les époques, on voit apparaître des bancs de livres taillés sur le même modèle, comme on voit apparaître des bancs de sardines. » Si le marché littéraire d’après-guerre a connu des périodes creuses, probablement par manque d’intérêt de la population en raison d’une offre culturelle médiocre, entre autres, il a fallu recourir à une certaine créativité pour relancer les ventes. Les prix littéraires, garants de la qualité d’une œuvre et du plaisir de la lecture, furent l’un de ces moyens pour améliorer les affaires.
Pour André Gouillou, les prix littéraires « sont l’alibi et la mauvaise conscience des éditeurs, à l’égard d’un développement de la culture. “Vous voyez bien, disent-ils, que nous faisons quelque chose pour cette propagation, pour le mieux-être des écrivains et pour la prospérité des libraires, puisque, une fois l’an, nous entretenons cet événement qui redonne vie à l’édition, fait parler des livres et les fait vendre.” » Si cela pouvait vraiment profiter aux écrivains, ça se saurait. Ce n’est pas l’auteur qui vit de ses livres, c’est l’éditeur qui les produit et le libraire qui les distribue. Gouillou constate en 1975 que « les éditeurs ne sont pas contents. Ils estiment que, sans ce qu’ils appellent les droits annexes : traductions, adaptations à la radio ou au cinéma, ils en seraient la plupart du temps de leur poche. Les pauvres ! Cela ne les empêche pourtant pas de publier à tout va. A-t-on jamais vu, selon le mot de Céline, un seul éditeur mourir de misère physiologique à l’hôpital (des écrivains oui !) ou faire faillite ? Ils sont rachetés par un rival et néanmoins ami. On a même vu des écrivains payer de leur vie leurs écrits. Les éditeurs qui les publiaient, jamais. Ni les libraires qui les vendaient ».
Les frères Goncourt
Les frères Huot, Jules et Edmond, sont deux écrivains du xixe siècle à l’esprit décadent et misanthrope, et précurseurs du mouvement naturaliste. Petits nobles originaires de la commune de Goncourt en Haute-Marne, ces frères inséparables ont décidé ensemble de se lancer dans une carrière littéraire après la mort de leur mère. Menant une vie parisienne jugée immorale, ils vont jusqu’à se partager la même maîtresse, une femme issue du bas peuple. Adeptes de néologismes, on leur doit notamment les termes « talentueux », « scatologique » ou encore « réécriture ». Ce qu’ils semblent apprécier le plus, c’est médire sur les personnalités de leur époque comme sur le peuple qu’ils méprisent tout autant, dans leur Journal, Mémoires de la vie littéraire, écrit à quatre mains, puis par Edmond seul après la mort de son grand frère, atteint de syphilis, en 1870, et dont Marcel Proust s’inspirera bien des années après (ce dernier recevra d’ailleurs, en 1919, le prix Goncourt).
Le testament d’Edmond demande qu’à sa mort tous ses biens soient liquidés — une imposante collection d’art que les frères ont amassé durant des années — et placés en bourse, afin d’utiliser les intérêts annuels pour faire vivre un petit groupe d’écrivains qu’on appellera l’Académie Goncourt. Cette académie attribuera chaque année à un roman choisi pour ses qualités une jolie somme d’argent et un prix littéraire. À la différence de l’Académie française, l’Académie Goncourt misera plutôt sur de talentueux jeunes auteurs, moins conformistes sans doute, probablement plus acerbes et insolents, comme l’étaient les frères Goncourt eux-mêmes. Au départ, le lauréat se voyait remettre une petite pension annuelle, afin de se consacrer entièrement à son œuvre. Il s’agissait donc véritablement d’un prix, au sens propre.
Pour le Hussard, ce prix n’est ni plus ni moins qu’une arnaque, « un scam pour mondains ahuris de la Belle Époque ». Il nous apprend que, rapidement, le prix deviendra purement symbolique. Il n’y a donc plus d’argent à gagner (pour l’auteur lauréat), mais en revanche, l’attribution du prix déclenchera des raz de marée chez les libraires.
Entièrement constituée d’hommes, l’Académie Goncourt verra naître en 1904 un groupe de poétesses qui, elles aussi, décerneront des prix littéraires, mais uniquement aux auteures, le prix Fémina, toujours actif. Puis, en 1926, un groupe de journalistes pétri d’ironie créera le prix Renaudot, pourtant devenu une référence depuis. En 1958, le prix Médicis fait son apparition sur la scène littéraire… En tout, il existe près de 2000 prix littéraires aujourd’hui. Le Hussard nommera au passage le prix « de la page 111 », le prix Sofitel, le Goncourt des Lycéens (sur lequel nous reviendrons plus bas) ou encore le Goncourt des détenus (très sérieux et financé par la CNL). Bref, les plus importants étant le Goncourt, le Fémina, le Médicis et le Renaudot.
Alors, qu’est-ce qu’un prix littéraire ?
Grosso modo, il s’agit du concept du « Galligrasseuil » (contraction de Gallimard, Grasset, le Seuil, qui ont la mainmise sur le prix littéraire). Ce sont ces maisons d’édition qui raflent les prix chaque année, ou bien des maisons appartenant aux mêmes groupes à la tête du monde de l’édition. Jacques Brenner a révélé dans son Journal11 les paroles du PDG de Grasset :
« Au premier tour, tu votes avec ton cœur. Au deuxième tour, tu votes pour ton éditeur. »
Pour le Hussard, « la liste des magouilles est longue chez les jurés ». Ces prix génèrent des dizaines de milliers de ventes et sont vus comme une référence. Avoir un livre primé dans sa bibliothèque, c’est tout de même chic, et ça témoigne d’un certain goût, sinon d’une grande sensibilité culturelle. C’est comme aimer Picasso. Non ? Le Hussard ne manque pas de souligner que, parmi l’ensemble des lauréats, certains romanciers ont certainement mérité leur prix littéraire, mais considère que c’est loin de refléter un véritable talent, d’une manière générale, les considérations portant très probablement sur des questions politiques et, bien entendu, de profit.
Dans un article paru dans Le Monde le 22 mars 1973, l’écrivain Vassili Alexakis disait ceci : « La collection « Prix Nobel de littérature » en soixante-neuf volumes, éditée par Rombaldi et diffusée par courtage, est assurément une excellente affaire, pour son éditeur tout au moins, qui en a vendu cent trente mille séries. Ceux qui l’ont achetée, désireux vraisemblablement d’acquérir les meilleures œuvres des plus grands auteurs, ont fait une moins bonne affaire. Les choix du Nobel sont rarement mais parfois discutables et, d’autre part, les auteurs ne sont pas nécessairement représentés dans cette collection par leur œuvre la plus marquante ». On peut imaginer qu’il en va de même pour la majorité des prix décernés.
Cette façon de procéder semble venir d’une longue tradition. Dans la même veine, le Club français du livre proposait autrefois le « Grand livre du mois ». Ici, Gouillou explique qu’« on n’attend même plus que le livre ait été ratifié par le choix et le goût du public. On le sacre « best-seller » avant même qu’il soit publié, sur manuscrit. Certes un aréopage compétent, composé de représentants de plusieurs grandes maisons d’édition, en décide […]. Le goût du public est forcé. Son jugement préfabriqué ». Et, certainement, ses opinions.
Qui sont ces savants représentants qui ont la prescience de ce que va aimer le public ? Là encore, c’est André Gouillou qui nous éclaire. « […] autrefois le directeur littéraire était un homme généralement cultivé, qui n’avait pas d’autres liens avec l’édition que ceux qui le rattachaient à sa maison (il n’était ni écrivain lui-même, ni critique, ni juré) maintenant, par économie, il est tout cela à la fois. » Et de poursuivre : « […] il lui est difficile d’être à la fois bon juge et partie. Ecrivain, il pourra être tenté de ne pas retenir un ouvrage qui risquerait de lui faire ombrage ou, au contraire, sélectionnera un manuscrit peut-être plus médiocre, mais susceptible de le servir. Critique, il avantagera les ouvrages de sa firme ou, s’il fait une exception, ce sera à charge ou à titre de réciprocité. Juré, bien entendu il ne votera que pour les livres de sa propre écurie ou s’il fait, là encore, exception, ce sera à la suite d’un marchandage. Où trouverait-il d’ailleurs le temps de lire tous ces livres […] ? »
De toute façon, le juré, lui, « n’a pas tellement besoin de lire. Dans chaque jury, il y a deux ou trois grands « liseurs » qui lisent pour tout le monde. Et les jeux sont le plus souvent faits en dehors des mérites des ouvrages ». Gouillou va encore plus loin en balançant littéralement les méthodes des éditeurs pour s’assurer de rafler la mise. « Voulez-vous savoir comment on obtient un prix littéraire quand on est une grande maison d’édition ? » demande André. — Oh oui ! répondent en chœur le Hussard et Maxine, impatients de connaître la suite de l’histoire. Après une pause dramatique excitant la curiosité de nos deux petits auditeurs, tremblant, mais tout ouïe, André poursuit : il suffit de « glisser des hommes à soi dans les jurys. Gallimard en fut le virtuose. Il eut jusqu’à cinq voix acquises sur les dix du Goncourt. La situation a changé, à la suite de la dispute Hachette-Gallimard. Maintenant c’est Hachette qui, par l’intermédiaire de Grasset, via Hervé Bazin, assure le contrôle ». C’est ainsi qu’est né le monstre Galligrasseuil, qui alimente aujourd’hui encore des légendes urbaines… et les rayons du supermarché.
Gouillou, pour qui « les prix littéraires sont le tiercé de la société éditoriale », propose, pour nous aider à mieux comprendre comment les prix sont décernés, les listes des membres qui composaient les jurys littéraires (Goncourt, Fémina, Médicis, Renaudot et Interallié) au moment où il écrivait son livre. Ça date, mais cela est intéressant et démontre à quel point ces prix sont des arnaques, comme l’explique le Hussard. Reprenons simplement l’exemple du jury Goncourt : sur 10 jurés, 3 étaient des auteurs publiés chez Gallimard, 3 autres chez Grasset, 3 encore chez Le Seuil, un chez Fayard, un autre chez Albin Michel et une dernière, elle-même lauréate du prix Fémina (Françoise Mallet-Joris), publiée chez Robert Laffont. Des auteurs à qui l’on a certainement rendu service (déjà, en les publiant !) et qui rendaient service en retour.
Le cas Daoud et les tensions franco-algériennes
Ce qui nous amène à aborder la question de Kamel Daoud, puisque c’est le dernier lauréat en date. Tout d’abord, il y a cette polémique autour du récit, que Kamel Daoud, écrivain et journaliste, déjà lauréat d’un prix Goncourt pour son roman Meursault, contre-enquête, en 2014, et du prix Jean-Luc-Lagardère du journaliste de l’année en 2016, est accusé d’avoir volé. Dans son roman Houris, Daoud relate l’histoire d’une jeune femme, Aube, qui vit en Algérie. Enfant, elle a subi une violente agression par des islamistes lors de la décennie noire, période taboue. Elle se souvient de cet événement douloureux pour l’Algérie, raison (peut-être discutable) pour laquelle le roman y est interdit. Privée de sa voix, c’est en silence qu’elle en fait le récit à l’enfant qu’elle porte. Elle dépeint son pays, y décrit la place des femmes dans cette société au sein de laquelle elle hésite encore à accueillir sa fille à naître.
Saâda Arbane, une jeune Algérienne de 31 ans, qui connaît personnellement l’écrivain, affirme que l’auteur s’est largement inspiré du récit de sa vie, et que les détails de ce roman ne pouvaient être connus que par sa psychiatre, l’épouse de Kamel Daoud. Elle dit d’ailleurs avoir refusé une somme d’argent que l’écrivain lui aurait proposé en échange de son histoire. Saâda Arbane a porté plainte pour violation du secret médical.
Parallèlement, une seconde plainte a été déposée contre Kamel Daoud. Politique, ce récit contrevient à la loi algérienne. On est en droit de se demander s’il n’est pas temps pour les Algériens de crever l’abcès, et de libérer la parole traumatique une fois pour toutes. Témoin lui-même de cette décennie noire, Kamel Daoud parle ici surtout des femmes. « C’est pour moi l’équation la plus tragique : espérer des femmes au paradis en leur faisant vivre l’enfer sur terre ». S’il a été volé à cette jeune femme, ce qui est malhonnête en soi et rend la lecture plutôt dérangeante, il est aussi un récit qui s’inscrit dans un contexte politique entre la France et l’Algérie. Ce contexte, dans lequel Daoud joue en quelque sorte un rôle, pourrait expliquer l’attribution d’un tel prix. La prose est, il est vrai, poétique. Le phrasé est un peu lourd, redondant, chargé – à l’image du récit, difficile à supporter par moments. On veut bien croire qu’un jury l’a lu et l’a tellement apprécié qu’il a choisi de le récompenser. On peut aussi penser que c’est le roman qui tombe à pic et qui permet à la France de créer une polémique. Il fallait, semble-t-il, faire parler de ce livre, le mettre en avant, et mettre en avant son auteur par la même occasion, puisqu’il est franco-algérien.
Rappelons que le gouvernement algérien, dans une démarche de stabilisation du pays, a établi une charte pour la paix et la réconciliation nationale en 2005, à la suite de la loi sur la Concorde civile de 1999, toutes deux adoptées par un référendum organisé par Abdelaziz Bouteflika. L’idée qui a été présentée au peuple algérien a été de « mettre définitivement fin à la violence » en prévenant la répétition de la tragédie nationale. Cette charte a permis d’abandonner les poursuites pour les exactions et les crimes imputés aux islamistes durant la décennie noire. Il est notamment prévu par l’article 46 du chapitre 6 : Mesures de mise en œuvre de la reconnaissance du peuple algérien envers les artisans de la sauvegarde de la République algérienne démocratique et populaire, qu’« est puni d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et d’une amende de 250 000 DA à 500 000 DA, quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’Etat, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international. Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public. En cas de récidive, la peine prévue au présent article est portée au double ». S’il est nécessaire de contextualiser, car c’est ce que risque Kamel Daoud aujourd’hui, ce n’est pas le sujet de cet article. Revenons-en à notre prix Goncourt.
Il n’est pas certain que ce soit ce que l’on puisse reprocher à Daoud, si l’on s’en tient à la liberté d’expression et au combat contre la censure, mais ce qui est intéressant c’est que, dans ce contexte et avec ces dispositions algériennes, compte tenu des tensions actuelles entre la France et l’Algérie, ce soit cet auteur et ce livre précisément qui sont mis à l’honneur et sont récompensés. On peut également y voir une simple coïncidence. Non seulement Houris est interdit sur le territoire algérien, mais Kamel Daoud ainsi que son éditeur Gallimard également ! Et puisque c’est comme ça, l’Académie Goncourt a retiré son droit à l’Algérie de « procéder à son élection du « choix Goncourt » en 2025 ». Cela ressemble quand même à un puéril (mais symbolique) pied de nez de la France à l’Algérie, en pleine crise diplomatique. Comme le dit André Gouillou, « n’en déplaise aux tenants d’une culture désincarnée, évanescente, l’histoire de l’édition est aussi une histoire politique ». Il est évident que le problème se situe ailleurs et, comme souvent, c’est à la récré que les comptes sont réglés. Hypocrite, la France agit comme si elle n’avait jamais, au grand jamais, recours à la censure.
Goncourt des lycéens, seconde polémique 2024
Si on la soupçonne partiale et politique, l’Académie Goncourt œuvre également sur le terrain idéologique. Un scandale est d’ailleurs passé quasiment inaperçu lorsque, à la rentrée scolaire de 2023, un livre pornographique à tendance scatophile, mais qui raconte toutefois une histoire (voir ci-dessous), « en lice parmi treize autres pour remporter le fameux prix Goncourt des lycéens 2024 » a été mis entre les mains des élèves par leurs professeurs.
Pour la petite histoire, « le prix Goncourt des lycéens est un prix littéraire français organisé par la Fnac et le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. Il a été créé en 1988 en collaboration avec le rectorat de Rennes et sous le haut patronage de l’Académie Goncourt. Ce prix littéraire a pour principe d’offrir à de jeunes lecteurs l’occasion de lire et de débattre de la qualité des romans de l’année sélectionnés au mois de septembre par les membres de l’Académie Goncourt ». En collaboration avec un mastodonte de la distribution et le concours de l’Éducation nationale, notre cher Galligrasseuil peut donc toucher un public plus jeune, en sélectionnant pour lui des œuvres (sur quels critères ?) dont les contenus ne sont apparemment pas contrôlés.
« “Plus on entretient une polémique, plus elle se développe, mais encore faut-il avoir lu le livre avant de polémiquer”, fait savoir la professeur documentaliste du lycée Europe, Anne Jean-Victor, qui refuse de s’exprimer sur le contenu de cet ouvrage afin de ne pas influencer le résultat du concours, comme l’y oblige le règlement. Tout juste rappelle-t-elle que Marie Chevalier, professeure de lettres, et les deux autres encadrants ont “bien insisté” auprès des élèves et de leurs parents sur le fait qu’ils n’étaient pas “obligés” de lire un livre si certains passages les heurtaient. » Est-ce une précaution que l’on prend chaque fois que l’on met un livre entre les mains d’un élève : « ne le lis pas si quelque chose te gêne » ? C’est une façon indirecte, me semble-t-il, d’admettre que ce livre n’a pas toute sa place dans une école.
« Le livre serait “pornographique et psychiquement dangereux”, juge SOS Éducation dans son courrier. Juristes pour l’enfance dit s’interroger, dans un communiqué daté du 4 octobre, sur “l’absence de réaction de l’éducation nationale et des équipes éducatives (…) lorsqu’ils ont eu la sélection entre les mains”, en évoquant une “société pornifiée” », peut-on lire dans un article du Monde publié le 25 octobre 2024. « D’extrême droite », « puritains » et « familialiste » (un nouveau mot en -iste), « réactionnaires », « conservateurs » sont les qualificatifs employés pour définir les parents et les associations qui se sont insurgés face à cette situation. Vraiment ? Certainement les mêmes parents hystériques opposés à l’EVARS. C’est toujours la même recette : mettre des mots magiques qui effacent instantanément toute initiative de pensée autonome et réfléchie, toute tentative de résistance à une idéologie naturellement de gauche (visiblement), malsaine et agressive. Pourtant, je suis prête à parier que des parents « de gauche » se sont également opposés à cette lecture. Quel parent équilibré ne le serait pas ? Quel père, quelle mère souhaiterait que son enfant fasse l’apprentissage de la sexualité via un matériel pornographique, qui plus est fourni par l’école ? Quel est celui qui offrirait ce livre à son enfant, son neveu, son petit-fils pour Noël, dans lequel on décrit méticuleusement, notamment, une sodomie tartinée de merde ?
Cet ouvrage, Le Club des enfants perdus, de Rebecca Lighieri, publié chez P.O.L. et dans lequel SOS Éducation voit « de l’incitation à la débauche, de la maltraitance psychologique, voire une mise en danger d’autrui », permet de parfaire le cours d’éducation à la sexualité au terme d’un long cursus démarré dès la maternelle, au terme duquel nos enfants seront définitivement perdus. Ce livre, dit-on, comporte des scènes « explicites », « très crues ». Je ne suis pas d’accord : les romans Harlequin, que lisait ma grand-mère, comportaient des scènes explicites, parfois très crues. Aucun des articles cités plus haut qui emploient ces termes pour minimiser les mots ne partage les extraits qui provoquent l’inquiétude des adultes. C’est grâce à la générosité et aux qualités interprétatives de Clémence Houdiakova (merci, Clémence !) que les auditeurs de la matinale de Tocsin (complotistes et d’extrême droite) ont pu avoir un aperçu du type de contenu.
« À la façon dont elle frétille contre ma queue, je devine qu’elle a envie d’une pénétration anale, à condition que je la prépare, bien sûr, et ma main tâtonne déjà sur la table de chevet à la recherche d’un tube de crème que nous réservons à cet usage. Je devrais être heureux qu’elle aime la sodomie, c’est loin d’être le cas de toutes les femmes, et j’en connais beaucoup qui ne veulent même pas en entendre parler. Ou plutôt si, elles veulent bien en parler, mais certainement pas passer à l’acte : “Ah, non, pas question, c’est trop crade, lave-toi le cul avant si tu ne veux pas que ce soit crade. Mon cul marche que dans un sens, des trucs peuvent en sortir, mais y pas entrer. Désolée.” À de rares mais mémorables occasions, j’ai réussi à convaincre une femme de passer outre ses réticences, mais concernant Burke, je n’ai pas eu à insister, elle l’avait déjà fait avant moi et elle adorait ça. Une fois de plus je m’introduis dans son cul préalablement lubrifié et travaillé par des rotations vigoureuses de l’index. Mon gland cogne déjà contre je ne sais pas quoi, une protubérance crénelée et spongieuse, et je sens qu’il ne m’en faudrait pas beaucoup plus pour jouir, mais évidemment, je me retiens, je l’attends ? J’attends la modification de son souffle, mais aussi l’imperceptible déclic que j’ai appris à guetter quand je suis dans son cul, ce moment où le fourreau se resserre autour de ma verge, le renflement voluptueux de ses muqueuses, immédiatement suivi d’une pulsation profonde qui me dit que ça y est, je peux y aller, la rejoindre et finir avec elle […]. Je veille à ne pas salir les draps. Rien ne rebute Burke pendant l’amour, mais elle ne supporte pas la moindre traînée de merde sur nos draps. […] Défonce-moi, suce tes doigts, caresse-toi, viens t’asseoir sur ma bouche, serre fort, sens-moi, tu vas le faire cracher, lèche-moi le téton, gicle en moi, prends, regarde comme je suis ta chienne, tire-moi les cheveux […]. » (lignes issues des pages 52 et 53 retranscrites à partir de l’audio) :
« Cette affaire n’est pas sans rappeler la décision prise par un lycée breton l’an dernier de retirer le livre “Triste tigre” de Neige Sinno des rayons de sa bibliothèque pour ne pas “fragiliser davantage certains élèves”. Cette autobiographie, traitant d’inceste, avait finalement décroché le Prix Goncourt des lycéens 2023. Cette année, le jury composé de près de 2000 lycéens dévoilera le nom de leur lauréat le 28 novembre prochain. » On reconnaît déjà que des élèves peuvent être fragilisés (et pour cause), pourquoi, en plus, leur demander de voter pour ce genre de contenu ? Quand il y aura un prix du meilleur porno trash inclusif et égalitaire, on leur demandera de voter aussi ?
La main sur votre portefeuille, sur vos idées et sur vos enfants, voilà la conclusion pour le moins inattendue de cette brève recherche.
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