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Le fer résonne à nouveau en Europe, mais celui des armées laissera bientôt la place à celui du rideau qui se ferme à nouveau dans un fracas de ferraille. La hideuse séparation enfoncée à Berlin au siècle dernier se reforme à Kiev, plus lointaine mais terrible également. Cette fois, le rideau a les dimensions d’une Grande Muraille de Fer. Permettez-moi d’emprunter une maxime à Bruno Bertez pour commencer ce papier : nous allons regarder les événements d’aujourd’hui avec les yeux de demain et l’expérience d’hier ajouterais-je. N’est-ce pas ambitieux ? Et pourtant j’ai l’orgueil de penser qui nous y parviendrons dans ces lignes. Vous me direz et si c’est le cas, partagez cette lettre à vos réseaux, transférez-la à votre carnet d’adresses, republiez-la, je vous en conjure. Derrière les principes, Bruxelles se suicide et nous entraîne dans sa chute.
L’Ukraine se retrouve à nouveau à la frontière entre Heartland et Rimland, à nouveau en position stratégique et tragique.
Oh, nous parlons de développements à l’échelle d’un demi-siècle et la guerre d’Ukraine n’est qu’un révélateur de mouvements plus profonds.
Ukraine : la confrontation entre les États-Unis et la Chine
La guerre d’Ukraine cristallise nombre de conflits internes à la région, propres à l’équilibre européen, liés au mauvais jeu des Biden — père et fils —, de la CIA et de Blackwater, attisés par les névroses russes, les humiliations américaines, le retour gagnant de Poutine sur la scène internationale… Tous ces conflits secondaires s’effacent sur le temps long devant la grande matrice géopolitique de notre temps : la confrontation entre les États-Unis et la Chine pour la suprématie. L’Ukraine ne fait pas exception.
Miroir du rideau de fer de la guerre froide abattu brutalement à la fin de la guerre, une grande muraille s’élève lentement, elle, non pour éviter la guerre chaude mais pour la préparer, aujourd’hui à l’initiative américaine, désormais puissance déclinante face au communisme chinois plutôt que soviétique. Un miroir vous dis-je, et un miroir grossissant, mondialisation oblige : si le rideau de fer séparait l’Europe, la Grande Muraille, découpe l’Eurasie tout entière du golfe de Finlande au golfe persique. Lentement et sûrement, s’élève la Grande Muraille de Fer.

La fermeture des routes terrestres entre l’Europe et la Chine passe inaperçue parce que… Eh bien, rien ne passe par la terre, l’enjeu est maritime. Certes et nous sommes dans un processus de long terme. Je ne doute guère que Gibraltar, Suez et Malacca seront également disputés à l’avenir, forçant le commerce à contourner l’Australie en passant par les 40es rugissants, route interdite à bon nombre de navires, en particulier les plus gros. Cette fracture passe également inaperçue car personne ne comprend vraiment les enjeux terrestres de ces Nouvelles Routes de la Soie ou Belt and Road Initiative développées par la Chine de longue date mais officiellement depuis 2013 seulement. Étudiant, il y a bientôt vingt ans, mon professeur d’histoire économique nous avait laissés ahuris devant des projets de TGV entre la Chine et l’Europe… qui nous paraissaient alors insensés. C’est un mouvement qui vient de loin. Si le TGV n’est pas encore là, le fret ferroviaire met désormais deux semaines pour relier la Chine à l’Europe, compromis précieux entre l’aérien hors de prix et le fastidieux maritime. Il pourrait se révéler un axe majeur à l’avenir avec la montée des prix du fioul et l’amplification des désordres et fragilités du fret maritime révélés depuis deux ans.
Aujourd’hui, 3 corridors économiques terrestres relient la Chine à l’Europe

Le corridor Nord : son enjeu principal est la liaison ferroviaire entre la Chine et la Mongolie en enjambant le fleuve Amour avant de rejoindre le tracé du transsibérien jusqu’à Moscou et Saint-Petersbourg ;
Le grand pont eurasiatique, corridor économique principal : rejoint la Pologne et l’Allemagne après avoir traversé le Kazakhstan, la Russie et l’Ukraine (tiens donc) et ;
Le corridor sud, sinueux et fragile, serpente autour de la Route de la Soie historique pour contourner les zones de conflit et arriver tant bien que mal au Bosphore.
À la différence des routes maritimes qui relient un point à un autre séparés par une immensité d’eau, ces corridors sont essentiels à la diffusion de l’influence chinoise en Eurasie.
Ce sont des projets d’infrastructures ferroviaires majeurs qui s’accompagnent de financements massifs et donc de liens monétaires puissants, d’un cadre commercial et juridique défini par les Chinois, de la création de nombreuses entreprises et de l’emploi d’une main-d’œuvre importante là encore contrôlée par les Chinois accompagnés de leur soft power culturel à commencer par l’implantation des Instituts Confucius tout le long de ces routes pour enseigner le chinois. La banque britannique Standard Chartered ne s’y est pas trompée en présentant ces routes comme les corridors de pouvoir au sein d’un plan stratégique en 2019.