En Italie, sans Green Pass, pas de travail : grande manifestation à Trieste

mise à jour le 20/10/21

Vendredi 15 octobre : les 23 millions salariés italiens doivent présenter un justificatif de vaccination ou un test négatif. Sans vaccination, ils ne peuvent se rendre sur leur lieu de travail qu’avec un test à renouveler toutes les 48 heures, à leurs frais. Ces contraintes, c’est pour le bien des Italiens, comme la vaccination. Ils semblent pourtant en douter. Particulièrement à Trieste.

Les Italiens se ruent vers les vaccins. Vraiment ?

Selon, Renato Brunetta, ministre de l’Administration publique, « les premières doses ont augmenté hier [NDLR : le 14] de 34 % par rapport au début de la semaine. »
Or, selon les données du Johns Hopkins University Center — qui font autorité —, les premières doses n’ont augmenté entre le début de la semaine et le 17, que de… 0,6 %. On est loin des 34 % triomphalement annoncés. Les chiffres de la JHUC sont calculés par rapport à la population globale (60 591 668 personnes), ceux du ministère par rapport à la population éligible à la vaccination. Même avec 10 % de non éligibles, on reste quand même loin du compte…

Pour vérifier que les chiffres du ministère de l’Administration publique sont bel et bien faux (voir graphiques)
Le 11 octobre 77,0 % de la population avait reçu au moins une dose (dont 70,2 % la vaccination complète), soit 45 843 991 (1 dose) dont 41 793 319 (2 doses).

Vaccination en Italie
Vaccination en Italie le 11 octobre 2021

Le 17 octobre 77,6 % de la population avait reçu au moins une dose (dont 71,0 % la vaccination complète), soit 46 219 911 (1 dose) dont 42 256 652 (2 doses).
Total : + 0,6 % (1 dose) et + 0,8 % (2 doses), soit + 375 920 injections (1 dose) et + 463 333 injections (2 doses).

Vaccination en Italie
Vaccination en Italie le 17 octobre

L’obligation vaccinale tombe juste quand le virus se fait tout petit

Si les nouveaux vaccinés (1 et 2 doses) du 11 au 17 octobre ne représentent qu’une augmentation de + 1,4 %, les certificats de maladie, dans les secteurs public et privé, eux, ont bondi de + 23,3 % (du 8 au 12 octobre). Quel manque de sens des responsabilités ! Surtout dans une Italie où, selon la JHUC, la moyenne des décès sur 7 jours au 17 octobre est de 34 et les nouvelles hospitalisations en soins d’urgence sont 400 dans tout le pays (qui compte 60 millions d’habitants…).

Les dockers de Trieste ne veulent pas du Green Pass

D’autres ports sont en grève (Gênes, Ancone), mais Trieste est le plus important. S’il n’est que le 17e port d’Europe, il est quand même un important terminal pétrolier et le départ de l’oléoduc Transalpin reliant l’Italie à l’Autriche et l’Allemagne. De plus Trieste fera partie des routes de la soieet, surtout, c’est le plus grand port d’Italie. Le blocage du trafic peut être un levier efficace pour des revendications…
Les dockers de Trieste sont 40 % à n’être pas vaccinés (29 % dans la population entière). Le gouvernement a proposé un compromis : des tests gratuits à refaire toutes les 48 heures. Les grévistes l’ont repoussé : « Nous, dockers, réaffirmons avec force et tenons à préciser que rien de tout cela ne nous amènera à conclure un accord, tant que l’obligation de travailler avec le laissez-passer vert ne sera pas levée, non seulement pour les travailleurs portuaires mais pour toutes les catégories de travailleurs. »

Les syndicats sont contre la grève des dockers

Dans une note commune, la Cgil, la Cisl et l’Uil de Trieste demandent que « le port soit libéré ». « Les manifestations légitimes de dissidence doivent être garanties, mais elles ne peuvent empêcher un port et une ville de continuer à générer des revenus et des perspectives d’avenir. »
Depuis vendredi 15 octobre, la grève contre le Green Pass, se poursuit donc sans les syndicats.

Samedi 16 octobre

Des milliers de personnes se sont rassemblées quai 4 du port de Trieste. La Coordination des travailleurs du port dirigée par Stefano Puzzer a organisé la manifestation. Cet ouvrier portuaire a fondé la Coordination il y a six ans avec quelques collègues. Première victoire : Trieste est devenue « territoire libre » (sans droits de douane) par l’application de l’annexe VIII du traité de paix de Paris de 1947. « Ciccio » Stefano (le gros Stéphane) est très apprécié des dockers. Même Zeno D’Agostino, le président de l’autorité portuaire, l’estime. Ce dernier a reconnu son syndicat, mais le retrouve désormais comme adversaire. Au cours de la journée, la manifestation s’est étoffée. Des partisans du « No Green Pass » sont venus d’autres régions (les chiffres oscillent entre 8 000 et 15 000 personnes). Le populaire acteur Enrico Montesano est venu apporter son soutien.

Les dockers veulent terminer la grève

Samedi soir, un communiqué de presse est publié par la coordination des dockers pour annoncer la fin de leur grève. La démonstration de force est suffisante. Elle aurait pu se terminer sur un succès médiatique et une immunité judiciaire (puisqu’il n’y a pas eu de véritable blocage du port, ni ici ni ailleurs en Italie).

Les anti Green Pass veulent continuer la manifestation

L’annonce par la coordination de la fin de la grève faite est très mal reçue par les militants No Vax. Finalement Stefano Puzzer revient sur ses dires, arguant qu’il s’est trompé de feuille et qu’il a lu un brouillon… Il publie un message sur les médias sociaux indiquant que la manifestation se poursuivra.

Dimanche 17 octobre

Puisqu’il a désavoué la coordination, Stefano Puzzer en démissionne. Il l’annonce sur Facebook : « Je ferai grève jusqu’au 20, mais je ne reprendrai le travail que lorsque le Green pass sera retiré ». Et, sans rire, il lance le slogan « des gens comme nous ne renoncent jamais ». Si le Green pass n’est pas retiré le 20, en tant que docker il ne sera plus en grève. Parallèlement, en tant que anti Green Pass, il n’ira pas travailler. Bref, le cul entre deux chaises…

Lundi 18 octobre

La police commence à  évacuer le port vers 10 heures. Un mur d’agents en tenue anti-émeute, avec deux camions, se tient entre un portail et les manifestants. Ils se sont assis sur le sol devant la ligne de police, en scandant « liberté, liberté ». Les travailleurs du port, reconnaissables à leurs gilets jaunes, forment un cordon entre la police et les manifestants pour éviter les affrontements, car leurs rapports avec les policiers sont bons.
L’un des manifestants, en tenue de camouflage, a eu un malaise. Tombé au sol, il a été relevé par les policiers. Avant de partir, il a échangé une accolade avec un policier. Au cours de l’occupation du port, la police a apporté son soutien et des pâtisseries aux dockers. Mais les ordres sont les ordres. Finalement les policiers chargent les manifestants anti Green Pass en recourant à nouveau aux canons à eau, mais aussi aux gaz lacrymogènes. Les dockers — qui tiennent à ce que l’évacuation se fasse selon les règles — font appel à leur avocat, Pier Umberto Starace. Ce dernier leur explique : « Théoriquement, après la troisième sommation, vous devriez partir selon la loi sur la sécurité consolidée. » Donc rien à se reprocher, ni rien à reprocher à la police.

Commedia dell’arte

Stefano Puzzer, en larmes, est assis par terre. « Je suis triste, dit-il en tenant la main d’une manifestante serrant un chapelet, il faut faire comprendre à l’Italie que cela ne peut plus durer. Je ne suis pas désespéré mais triste pour toutes ces personnes, parce que nous sommes responsables de toutes ces personnes. Nous prions, il y a des gens qui tremblent et qui ont peur. » Étonnant discours ! Les grévistes n’ont pas pu arrêter leur grève. Seraient-ils donc responsables du sort des autres manifestants ? Aux micros des journalistes qui ont afflué lundi, il a continué à pleurer… La vidéo a fait le tour de l’Italie.

Les manifestants fuient le port en direction du centre ville

Après une débandade générale, quelques personnes ont été blessées et les manifestants se sont regroupés pour un long cortège vers le centre ville.

À 11h30, la foule partie du port atteint la place centrale, où se trouvent la préfecture, l’hôtel de ville et le bâtiment de la Région. La circulation a été bloquée dans les différentes voies traversées.


Environ 150 dockers sont restés devant la porte 4 du port, empêchant toute circulation sur la voie d’accès. Cela aurait été la seule stratégie gagnante, si elle avait été suivie…
12h30 Surveillés par la police, les manifestants du « no green pass », après un cortège improvisé dans les rues de la ville, s’arrêtent sur la Piazza Unità d’Italia. Stefano Puzze prend la parole : « Nous devons rester pacifiques jusqu’à la fin, nous avons des droits à faire respecter et non par la force, comme ils nous l’ont montré ce matin. Il y avait des enfants, des familles, ils nous ont attaqués et je n’ai pas de mots, je ne m’y serais jamais attendu. »
16h00 : Stefano Puzzer et deux autres collaborateurs de la coordination sont reçus à la Préfecture. Avant d’entrer, il s’était adressé à la foule : « Nous ne pouvons pas rester assis ici au soleil toute la journée. » Méfiants, certains des participants au sit-in (presque tous debout) ont rétorqué : « Si. Même toute la nuit » (ambiance…). Ils l’ont donc attendu à la sortie…

Entourloupes

A sa sortie de la préfecture, Stefano Puzzer hurle au mégaphone les trois demandes qu’il a faites au préfet :
– abolition du Green Pass,
– être reçus par le gouvernement.
– que cette rencontre se tienne à Trieste.

Le très ouvert préfet, Valerio Valenti, avait auparavant déclaré qu’il considérait la grève comme illégitime : « S’ils n’obstruent pas l’entrée, l’infraction de manifestation non autorisée sera commise, s’ils bloquent, l’infraction d’interruption d’un service public sera commise, ce qui est beaucoup plus grave. » Sa réponse : le gouvernement va déléguer à Trieste le  ministre de l’Agriculture Patuanelli, originaire de la ville. La rencontre aura lieu samedi 23 octobre. La présence du ministre de l’Intérieur Lamorgese et celle du ministre de la Santé Speranza avaient été demandées…
Le préfet s’engage à ce qu’il n’y ait aucune attaque contre les manifestants sur cette place. « J’ai communiqué notre intention de rester ici jusqu’à la réponse du gouvernement. Nous ne lâcherons jamais », a déclaré Puzzer. Quelles belles paroles définitives ! Suivies de : en fait, la place doit être évacuée et les manifestants démménager au Vieux Port !
Une partie de la foule le prend mal. Ciccio Puzzer est un grand incompris !
Pendant ce temps-là la préfecture de police analyse le matériel vidéo et procède à des identifications.

De rares politiques soutiennent les opposants au Green Pass

Matteo Salvini (Ligue du Nord) — ancien ministre de l’intérieur et critique virulent de l’actuel ministre — demande sur Twitter comment une « poignée de néofascistes a été autorisée à bouleverser Rome » la semaine dernière alors que « aujourd’hui, des canons à eau ont été utilisés contre des travailleurs et des citoyens pacifiques ».
Les commentaires de Salvini ont été repris par Giorgia Meloni (Fratelli d’Italia) qui a ajouté sur Facebook : « Le même gouvernement qui n’a rien fait pour arrêter une rave illégale de milliers de traînards, empêcher l’assaut contre le siège de la CGIL, arrêter l’immigration illégale et lutter contre la drogue. » On cherche en vain mention du refus du Green Pass. Ces politiciens poursuivent leurs intérêts personnels. Les anti pass pourraient fort bien se passer de ce genre de soutien.

A suivre… Rendez-vous samedi 23 octobre.

Jacqueline pour Le Média en 4-4-2.

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