Depuis ma dernière invention d’une cage en verre, hermétiquement close, destinée à mettre les girouettes à l’abri des vents qui les tourmentent, j’ai vécu, cher monsieur, à la campagne, occupé de chasse et de chiens. – Je ne m’intéresse plus aux boulevards, où passent les réverbères deux par deux.
Ai-je besoin de vous apprendre que mes chiens sont des animaux merveilleux ? – Ne le dites pas à M. Alphonse Allais : je possède, entre autres, l’exemplaire unique de basset à jambes torses offert par le prince de Galles en seize cent soixante-seize à la municipalité de Paris. – Relisez dans Brantôme le récit des fêtes données à cette occasion.
Puisque nous parlons de bassets, ne trouvez-vous pas (permettez à un vieux professionnel la familiarité de l’expression) odieux et barbare le procédé actuellement usité chez les éleveurs pour la fabrication des bassets ?
C’est toujours le procédé traditionnel.
On prend des lévriers à très longues jambes et on les attache à la suite du dernier fourgon d’un train express.
Les jambes s’usent.
Au bout d’un certain nombre de kilomètres, variable selon les individus, les jambes ont la longueur désirable.
Permettez-moi de m’élever, en homme humain, contre la cruauté du procédé.
Tout d’abord, pourquoi ne pas prendre, au lieu de lévriers, des chiens à pattes moins longues ? Ils auraient moins à souffrir, car l’opération serait plus courte.
Quoi qu’il en soit, voilà le procédé antique ; un bon coup de poing sur le museau, pour finir, et le chien est transformé.
Eh bien, pourquoi n’installerait-on pas des pistes spéciales, où l’on ferait courir les chiens sur un sol de papier de verre ou d’émeri ?
L’usure des pattes serait incomparablement plus rapide ; le supplice serait donc plus court.
Je soumets mon idée, généreusement, et avec l’espoir qu’on la soutiendra, à la Société protectrice des animaux.
(Gabriel de Lautrec, in Le Rire, journal humoristique, troisième année, n° 129, samedi 24 avril 1897 ; repris avec quelques modifications sous le titre : « Les Chiens bassets, » dans Le Supplément, grand journal littéraire illustré, seizième année, n° 1505, 6 avril 1899. Gravure de Daniel Lerpinière, d’après Jan Fyt, 1799 ; lithographie anonyme, « Basset Hounds, » 1890)
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