Corruption du Parlement européen : Francesco Giorgi, compagnon de Eva Kaïli, confesse tout

mise à jour le 23/12/22

Eva Kaïli, déchue de ses fonctions de vice-présidente du Parlement européen et inculpée de corruption en relation avec le Qatar, reste en détention. Son compagnon, Francesco Giorgi, l’assistant parlementaire au centre de l’enquête du parquet de Bruxelles, raconte. Le système mafieux au sein du Parlement européen commence à se dévoiler.


Francesco Giorgi, on l’appelait le surfeur d’Idroscalo, est originaire d’Abbiategrasso. Il a 35 ans et a une fille de 22 mois avec Eva Kaïli, sa compagne, qui a été démise de ses fonctions de vice-présidente du Parlement européen après avoir été arrêtée avec lui. Giorgi tente de blanchir son nom, car il coopère avec les enquêteurs depuis qu’il s’est retrouvé en prison. « Je ferai tout ce qui est nécessaire pour que ma fille puisse rester avec sa mère », déclare l’assistant parlementaire qui a d’abord été interrogé par la police fédérale, puis par le juge d’instruction Michel Claise, remplissant trois longs rapports. Sur ces pages, on trouve le récit du fonctionnement du système mis au jour par le VSSE, les services secrets belges.

Le groupe mafieux de Panzeri

L’une des équipes est composée de Giorgi et de ses employeurs, à savoir l’ancien député européen Antonio Panzeri et l’actuel député européen Andrea Cozzolino qui, contrairement aux deux autres, n’a jamais fait l’objet d’une enquête ou d’un interrogatoire. Pour l’accusation, l’équipe travaillait au service du DGET, les renseignements marocains, mais aussi du gouvernement de Doha (au moins dans le cas de Panzeri et Giorgi). « Ils opèrent avec une discrétion qui va au-delà de la simple prudence, évitant d’apparaître trop ouvertement pro-marocain au Parlement européen, utilisant un langage codé et cachant l’argent dans leurs appartements », notent les 007 de Bruxelles dans le rapport qui a lancé l’enquête. Pour l’agence de renseignement, il s’agit d’un « contrat de plusieurs millions d’euros ». Et en effet, c’est surtout d’argent que parle Giorgi. Pour obtenir les Qataris, il fallait parler à « l’Algérien », puis au Palestinien en Turquie et enfin appeler le contact qui répondait depuis la Belgique. Le total était variable, « il m’est difficile de l’estimer, ce sont eux qui décidaient », affirme Giorgi, expliquant que cette triangulation avait lieu « deux ou trois fois par an ».

Contacts avec « l’Algérien » émissaire du Qatar

Le bon contact est venu de celui que tout le monde appelle simplement « l’Algérien ». « C’est quelqu’un qui travaille pour le gouvernement qatari et son nom est Boudjellal. Il me mettait en contact avec une personne en Turquie, d’origine palestinienne je crois. » Il lui donnait un numéro de téléphone depuis la Belgique : « Je devais l’appeler pour avoir l’argent. » C’était toujours une personne différente. « Et je supprimais ces numéros à chaque fois, pour ne pas laisser de trace. » C’est ainsi que le Qatar a payé ses pots-de-vin au cœur de l’Europe.

Les voyages proposés par l’ambassadeur Atmoun au Maroc

Pour le Maroc, en revanche, les pots-de-vin étaient versés en espèces et provenaient toujours d’Abderrahim Atmoun, l’ambassadeur de Rabat en Pologne : « Il apportait de l’argent de temps en temps, mais pas de manière régulière. Il s’agissait de montants de quelques dizaines de milliers d’euros. J’estime la somme totale à 50 000 euros », indique le compte de l’assistant. Là encore, ils utilisaient un langage codé : « Atmoun venait à Bruxelles, ou nous allions à Paris, dans son appartement. Quand nous allions chercher de l’argent, nous disions que nous allions acheter des cravates ou des vêtements. En décembre, Atmoun a voulu nous offrir, à moi, à Panzeri et à leurs familles, un voyage à Marrakech. J’ai d’abord hésité un peu, puis j’ai dit oui. Nous avions aussi parlé de la sœur et du beau-frère d’Eva, finalement ils n’ont pas accepté ». Pas seulement ça.

L’accord avec la Mauritanie

Dans les comptes de Giorgi il y a aussi un accord du groupe avec la Mauritanie. C’est un peu pareil, mais pas avec le même volume d’argent. « Je louais mon appartement à l’ambassadeur et c’était ma contrepartie : 1 500 euros + 300 de frais. Panzeri a pris 25 000 euros en liquide. » Mais en échange de quoi ? « Même en Mauritanie, ils ont un problème d’image. Ils ont engagé Panzeri pour obtenir des conseils sur ce qu’il fallait faire. Nous nous sommes rendus à l’ambassade de Mauritanie il y a une semaine et nous avons rencontré leur ambassadeur ainsi que l’ambassadeur saoudien, qui voulait des informations sur ce qui se disait au Parlement européen à propos de son pays. »

Lobbying via des ONG

En bref, le service offert par le groupe de Panzeri était toujours le même : conseil et éventuelle ingérence dans les institutions. Le modus operandi a été celui mis en place avec le Qatar, en réponse aux accusations concernant les droits des travailleurs utilisés pour construire les stades de la Coupe du monde. C’est pourquoi Giorgi et Panzeri ont rencontré le ministre du travail de Doha, Ali Bin Samikh al Marri, à l’hôtel Steigenberger Wiltcher’s à Bruxelles le 10 octobre. J’ai développé un projet de lobbying pour eux. J’ai des documents sur mon disque, l’approche se faisait par étapes : « arrêter les attaques des autres pays, promouvoir les aspects positifs ».
Une autre ONG apparaît. Fin 2019, cependant, quelque chose change : « Panzeri a donné l’idée de créer une ONG. C’est en fait l’Algérien qui l’a proposé. Il fallait trouver un système propre qui ne déclencherait pas d’alarmes. Les Qataris l’ont demandé. » Il ajoute : « C’est pourquoi j’ai prêté main forte à Fight Impunity. Qui a ensuite été mis en place et soutenu financièrement par la Fondation des droits de l’homme dont le président était Thor Alvorsen. » Mais il apporte une précision : « Toutes les personnes qui apparaissent dans Fight Impunity ignorent l’origine réelle des fonds. Ils ignorent la relation entre la Fondation des droits de l’homme et l’État du Qatar. Seuls Panzeri et moi le savions. » M. Giorgi affirme toutefois qu’il n’a aucune preuve de cette affirmation concernant les relations financières entre la fondation et Doha. Il ne connaît pas non plus les détails de la relation avec Figà Talamanca.

Le rôle de Luca Visentini  : « J’ai un blanc »

Les enquêteurs veulent en savoir plus et posent des questions sur Luca Visentini : « Il n’a rien à voir avec tout cela, mais c’était un ami de Panzeri. Le Qatar a demandé de placer des personnes à des postes clés en matière de droits du travail. Il a appris la candidature de Visentini au poste de secrétaire général de l’Ituc [Confédération internationale des syndicats] et comme Panzeri le connaissait, il l’a soutenu. Il y aurait eu des accords entre eux pour soutenir sa candidature en échange de « contreparties ». Giorgi, cependant, dit qu’il n’en sait pas plus. Les questions des enquêteurs portent sur d’autres noms : qui a reçu de l’argent de Panzeri ? Je suppose qu’il est lui-même la personne qui s’est occupée des contacts, Tarabella, Cozzolino… J’ai un blanc. Je le jure : je ne sais pas. »  Et les 150 000 euros trouvés dans la maison de Giorgi et Kaïli ? L’assistant parlementaire affirme qu’il s’agissait d’argent destiné à lui et à Panzeri, et non à sa compagne. « Eva était au courant de l’argent et de son origine, mais elle ne faisait pas partie du réseau. Elle m’avait demandé plusieurs fois d’arrêter car je la mettais en danger. Je me suis rendu compte que l’entreprise prenait de l’importance, qu’elle devenait ingérable, que le système était malsain. » Pas assez pour arrêter.

Article de IlFattoQuotidiano.

Traduction Le Média en 4-4-2.

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