
D’après Europol, on compte approximativement 750 000 pédocriminels actifs sur internet en France, 4e pays hébergeant le plus grand nombre de contenus pédopornographiques, après les Pays-Bas, les États-Unis et la Russie. Ça, c’est pour la partie visible. Il est plus difficile de donner des chiffres concernant les actes pédocriminels commis en dehors du web et quasiment impossible d’évaluer le nombre de pédocriminels en France. Mais selon le rapport public de la Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) publié le 27 novembre 2023, on sait que 160 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles sur le territoire français et « l’impunité des agresseurs et l’absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d’euros chaque année en dépenses publiques ».
Côté justice, on dénombre pour l’année 2021 environ 3000 condamnations pour agression sexuelle sur mineur et 693 condamnations pour viol sur mineurs (chiffres en hausse par rapport aux années précédentes, une augmentation que l’on peut interpréter en raison du confinement). Le site de l’UNICEF rappelle que « déjà en 2018, les données des forces de sécurité révélaient que plus de 5 700 filles et plus de 1 500 garçons ont été victimes de violences sexuelles intrafamiliales ».
Les violences sexuelles commises sur les enfants ont lieu, pour une majeure partie, au sein de leur famille, par ses membres ou par des amis, toutes origines et toutes catégories socioprofessionnelles confondues. Elles ont également lieu en dehors de la famille, par des personnes de confiance ou ayant une autorité sur les enfants, et aussi par des inconnus, dans les lieux d’accueil et de loisir, les centres sportifs… C’est partout, tout le temps, et cela, sans parler des réseaux. Et ils sont loin d’être découragés par des mesures répressives presque inexistantes. Si l’on en croit le manifeste contre la pédocriminalité, 1 sur 5, « sachant que seule une victime sur dix porte plainte et que seule une plainte sur dix aboutit à une condamnation, il n’est pas exagéré d’affirmer que l’Hexagone reste un havre pour les prédateurs sexuels. Les trois quarts des plaintes sont classées sans suite ! »
Indignés et consternés face au manque de moyens des autorités et à l’inertie de la justice, de plus en plus de citoyens se font les protecteurs des mineurs et créent des associations bénévoles de défense en ligne, afin d’intercepter des adultes qui cherchent à entrer en contact avec des enfants. Ces associations, loin de jouer les cowboys, sont littéralement débordées de travail et ne sont pas en mesure de prendre en charge l’ensemble des dossiers qui arrivent chaque semaine. C’est notamment le cas de la Team Eunomie qui a publié récemment la capture d’écran d’une carte de France, régulièrement mise à jour, sur laquelle on peut visualiser en temps réel la position d’une multitude de pédocriminels actifs recensés par cette association, et qui chassent sur internet. Il y en a absolument partout.
Qui sont ces traqueurs pédophiles ?
Selon la plateforme Jonas, un espace collaboratif contre la pédocriminalité, « les mots finissant par “philie” indiquent un attrait voire une passion. Ainsi en est-il pour les mots francophilie et anglophilie. Mais la pédophilie ne pouvait en rester à l’amitié ou à l’attirance pour les enfants car parmi ceux qui “aiment” les enfants, il y a ceux qui les violent. De sorte que le mot “pédophilie” recouvre aujourd’hui dans la culture française tout ce qui a un lien avec la pédocriminalité. »
S’il n’y a pas de profil type parmi les victimes, c’est également le cas parmi les pédocriminels. D’un point de vue de la santé mentale, la pédophilie, dont la notion n’est réellement apparue qu’au 20e siècle, est considérée selon le CIM-10 comme un « trouble de la préférence sexuelle ». Il s’agit d’une attirance sexuelle pour les enfants, garçons comme filles, d’âge prépubère ou en début de puberté. Un homme ou une femme ayant dépassé la puberté qui est attiré sexuellement par un enfant ou un ado est une personne pédophile. Il y a également des adolescents qui sont attirés sexuellement par des enfants prépubères. C’est une paraphilie, une pratique sexuelle anormale, qui est prise en charge par les psychiatres et pour laquelle on peut suivre des thérapies. Un peu comme une maladie…
Cela dit, tous les pédophiles ne se soignent pas, et tous ne passent pas non plus à l’acte. À partir du moment où il y a passage à l’acte, que ce soit un abus ou une exploitation sexuelle de mineur, on parle de pédocriminalité et on passe dans le champ pénal. Et là encore, il y a différents types d’infractions. Pour prononcer les peines encourues dans le cas d’actes pédophiles (au sens large), les juges se réfèrent à l’article 227-25 du Code pénal, dont la dernière version est entrée en vigueur en avril 2021 et qui dispose que « le fait, pour un majeur, d’exercer une atteinte sexuelle sur un mineur de 15 ans est puni de 7 ans d’emprisonnement et de 100.000 euros d’amende.
Le Conseil de l’Europe regroupe les différentes formes de violences sexuelles, dont 1 enfant sur 5 serait victime en France, comme suit : « les attouchements sexuels, les viols, les harcèlements et agressions sexuelles, l’exhibitionnisme, l’exploitation sous forme de prostitution et de pornographie, le chantage et les extorsions sexuelles en ligne », dont nous retrouverons les détails dans les articles 18 à 23 de la Convention de Lanzarote.
Cette Convention, signée en 2007 par les 47 pays constituant le Conseil de l’Europe, n’est entrée en vigueur en France qu’en janvier 2016. Mieux vaut tard que jamais. Cependant, en la signant, la France s’engageait à prendre « les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale […] le fait de se livrer à des activités sexuelles avec un enfant qui, conformément aux dispositions pertinentes du droit national, n’a pas atteint l’âge légal pour entretenir des activités sexuelles ; le fait de se livrer à des activités sexuelles avec un enfant », ce qui rejoint vraisemblablement les agissements que l’on peut qualifier de pédocriminels, c’est-à-dire propres au comportement d’un pédophile qui passe à l’acte.
Or, cette notion reste toujours floue dans notre Code pénal, et c’est probablement ce qui rend le calcul des peines aussi aléatoires, les juges brodant tant bien que mal avec ce qu’ils ont sous la main.
L’évolution des mœurs en France
Il y a la théorie… et il y a la pratique. Et en pratique, quand vous avez déjà eu affaire de près ou de loin à des affaires de pédocriminalité, ça vous marque à vie – et pas uniquement pour les victimes. Il n’y a rien de beau, il n’y a rien de doux. Ce n’est pas un acte d’amour. Les faits recouvrent une telle horreur que n’importe qui de normalement constitué comprendra qu’il y a là quelque chose d’inacceptable. On nous parle d’une « attirance » ou d’une « préférence » pour les enfants ? Ce qu’on appelle « atteinte sexuelle », c’est cette image que votre esprit refuse catégoriquement de concevoir. C’est ce qui explique que la majorité des gens se détournent, ne veulent pas voir.
Post 68, il y a eu une sorte d’acceptation de l’inacceptable sous couvert de garantir de nouvelles libertés fraîchement acquises, comme la liberté sexuelle. La société nouvelle, dans sa candide insolence, contrait les familles traditionnelles incapables de comprendre quoique ce soit aux nouvelles mœurs contraires aux principes acquis et établis par nos civilisations et empêchant l’épanouissement personnel. Ce mouvement était-il un présage de la tolérance qu’allait adopter notre société à l’égard de ce type de déviance ?
De temps en temps, une affaire de pédocriminalité surgit dans les médias et, à l’issue d’un procès, le prédateur va effectivement en prison. C’est le cas du baby-sitter de Seine-et-Marne, âgé de 29 ans, qui a pris 8 ans ferme avec incarcération immédiate, le 6 septembre dernier. Après avoir drogué une fillette de 8 ans, il l’a « caressée » et l’a filmée. Parallèlement, 4 jours après, dans le Calvados, un autre homme de 27 ans était condamné à 6 mois de prison avec sursis pour avoir porté atteinte sexuellement à une enfant de 13 ans. Déjà mis en cause par le passé pour des faits similaires, il sera inscrit au FIJAIS (le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles, qui n’est pas systématiquement consulté à l’embauche pour des emplois impliquant un contact avec des mineurs). Celui-là est libre, donc. Entre les deux affaires, une flopée d’arguments et de contre-arguments, de circonstances et de détails qui permettent d’obtenir des sentences aussi subjectives que surprenantes.
Ce ne sont ni plus ni moins que des boucs émissaires. Le public, d’abord scandalisé (et quelque peu fasciné), est ensuite soulagé. Il se dit que les méchants sont arrêtés et jugés, quand bien même les peines sont très aléatoires et la législation relativement floue. Il ne veut pas s’entendre dire que, pour un pédocriminel amené devant les tribunaux, des dizaines de milliers d’autres sont toujours dehors, près des enfants. Après tout, il n’y a qu’un croque-mitaine, qu’un ogre par conte, et tout est bien qui finit bien.
Mais dans la vraie vie, ce n’est pas la fin de l’histoire. La majeure partie de ces affaires ne font pas l’objet de réelles mesures punitives. Ce système d’impunité des agresseurs pose question. Un message est envoyé aux adultes qui peuvent s’approprier le corps des enfants, et en jouir. Ce n’est pas un fait nouveau, les pédocriminels ne sont pas apparus dans les années 70, et le regard que l’on porte sur eux n’a pas tellement changé. Dans les rares cas où une plainte pour abus sur mineur aboutit à un procès, la question se pose toujours de savoir qui croire : l’enfant ou l’adulte ?
Entre l’accusation (au passage, merci à Françoise Dolto d’avoir affirmé de toute la hauteur de son autorité sur la question que tous les enfants mentent à ce sujet, ou bien qu’ils sont consentants), le déni, le tabou et la tolérance, c’est encore et toujours la même attitude de la part des adultes et des autorités : une passivité, un laxisme qui frise la complicité.
Le Code pénal sanctionne pourtant les relations sexuelles entre un adulte et un mineur depuis deux siècles maintenant, même si le terme « pédophilie » n’existe pas en tant que tel dans la loi. Il légifère également sur la pédopornographie et l’exploitation sexuelle des mineurs.
Vers un consentement libre et éclairé de l’enfant ?
Comme l’affirme l’historienne Anne-Claude Ambroise-Rendu, « le consentement d’un mineur ne vaut pas ». La parole des enfants a longtemps été ignorée dans les affaires de pédocriminalité. Les dégâts causés par l’affaire Outreau nous montrent à quel point les adultes abuseurs peuvent être défendus et protégés face aux enfants accusateurs (petit clin d’œil à Dupont-Moretti).
À la question de la liberté sexuelle du pédophile en tant que minorité bafouée s’ajoute celle, ultra épineuse, du consentement. Prétendre devoir débattre d’une telle notion est tout simplement aberrant. Comment un enfant — un être humain en pleine construction et immature par définition — pourrait-il être en mesure de donner ou d’opposer son consentement ?
C’est là qu’entre en scène le programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) qui, fort heureusement, apporte la solution au problème (celui des pédos, pas des enfants). Si la question de la pédocriminalité ne se pose plus en tant que « confusion de langue entre l’adulte et l’enfant » (Ferenczi, Confusion de langue entre les adultes et l’enfant, Payot, 2004), en tant que pathologie et normalité, ou en tant que liberté et restriction, il faut se tourner vers ce qui fait vraiment problème : le consentement libre et éclairé de l’enfant. Grâce à ce programme, la victime (pardon, le partenaire sexuel mineur), connaît les limites de son corps, du corps de l’autre, la façon dont il peut faire jouir et la façon dont l’autre peut le faire jouir, avec moult détails sur les techniques sexuelles testées et recommandées par les adultes, et il se retrouve dès lors avec la capacité de dire : OK, je veux, ou non, ça je ne veux pas. Désormais, l’enfant sait. Donc il peut décider.
Le hic, c’est que, quoiqu’on en dise, en dispensant ce genre d’ « enseignement », les établissements scolaires et leurs personnels se rendent coupables de corruption de mineurs au regard de l’article 227-22 du Code pénal qui dispose que : « le fait de favoriser ou de tenter de favoriser la corruption d’un mineur est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Ces peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque le mineur a été mis en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de communications électroniques ou que les faits sont commis dans les établissements d’enseignement ou d’éducation […] ».
Doit-on rappeler que lorsqu’un adulte impose sa sexualité de façon prématurée à un enfant il fait effraction dans sa psychè (et donc infraction dans la loi) et cause un trauma ? Car, n’ayons pas peur des mots : il s’agit d’un viol psychique.
D’où l’opposition de certains parents qui, partagés entre l’angoisse de voir leurs enfants être pervertis et celle de paraître intolérants, s’érigent de façon hystérique et puritaine, n’est-ce pas, contre cette effraction. Comme l’écrit le collectif Parents mobilisés sur son compte X, « À force d’avoir trop peur d’être “réac”, les gens vont devenir “pédotolérants” ». Sachant que le peuple a tendance à radicalement se diviser sur les sujets brûlants (grâce au fabuleux travail des lobbyistes), on ne peut s’empêcher d’avoir une vision dérangeante d’un futur où les pauvres pédophiles, fragile minorité, seront traqués par des hordes de parents fascistes.
Parallèlement, la tendance apologiste de la pédophilie, qui n’a pas disparu après les années 70, explore une nouvelle façon de voir les choses. Le postulat amené par le mouvement de libération sexuelle était que la pédophilie pouvait être considérée comme une simple orientation sexuelle. En effet, après toutes les formes d’oppression que la société avait eu à subir, qui aurait osé s’opposer au bonheur individuel des adultes comme à celui des enfants ? Eux aussi ont le droit de jouir. Et c’est cette même question qui se pose aujourd’hui, portée cette fois-ci par le mouvement LGBTQIA+ qui intégrera bientôt son « P ». La pédophilie n’est plus un trouble psychiatrique, et le pédophile sera bientôt considéré comme une orientation sexuelle parmi d’autres, une minorité dont il faudra respecter la liberté et les droits. Ça va être dur à faire passer…
Édouard Durand, juge des enfants et ancien coprésident de la Ciivise, confiait au Parisien12 préférer le terme « pédocriminalité », car, selon lui, « le mot pédophilie masque le réel des violences sexuelles. À l’évidence, les viols et agressions sexuelles ne relèvent pas de l’amour mais de son contraire, la violence ».
La question de l’utilisation du corps des enfants par des adultes est aujourd’hui tiraillée entre l’horreur, l’inacceptable, et la bienveillante tolérance (ou la tolérante bienveillance). En tout cas, personne ne tranche réellement sur ce point, et personne ne semble vraiment déterminé à mettre fin à ce sentiment d’impunité. Entre les plaintes qui ne sont jamais déposées, celles qui n’ont pas de suite, et celles qui aboutissent à des peines plus que légères, on peut dire que la voie est presque libre, sinon peu risquée.
Pour aller plus loin :
https://www.1sur5.org/
https://www.publicsenat.fr/actualites/societe/le-systeme-ne-protege-pas-suffisamment-les-enfants-des-violences-sexuelles-le-juge-edouard-durand-alerte
https://questionsexualite.fr/lutter-contre-les-violences-et-discriminations/les-violences-sexistes-et-sexuelles/qu-est-ce-que-la-pedocriminalite-et-la-pedophilie
https://www.facebook.com/jacques.thomet.journaliste
Pas encore de commentaire sur "Pédocriminalité : la France, terre d’impunité ?"