Manifestations à Marseille : Zineb Redouane, 80 ans, tuée chez elle par un CRS

mise à jour le 31/10/21

1er décembre 2018 – Le long de la Canebière, des affrontements ont lieu entre les forces de l’ordre et des manifestants Gilets Jaunes et du Collectif du 5 novembre. Les Gilets Jaunes, on ne les présente plus. Quand au collectif du 5 novembre 2018, il a été créé lorsque huit personnes sont mortes dans l’effondrement de leur immeuble. Malgré la visite en 2020 d’Emmanuelle Wargon, ministre déléguée au Logement, et celle d’Emmanuel Macron en 2021, trois ans plus tard, question insalubrité, on en est au même point à Marseille.

Une grand-mère tuée chez elle par la police

Pour éviter que les fumées des lacrymogènes n’entrent dans son appartement du quatrième étage, Zineb Redouane, 80 ans, ferme les volets de son appartement du 12 rue des Feuillants dans le quartier de Noailles, à l’angle de La Canebière (1er arrondissement de Marseille). Elle reçoit alors au visage une grenade tirée par les forces de l’ordre. Elle meurt le lendemain, le 2 décembre, à 22h20, sur une table d’opération de l’hôpital de la Conception.

3 décembre 2018 – Pseudo-autopsie à Marseille

Conclusions de l’autopsie : un « œdème pulmonaire aigu » est la « cause du décès après tentative de réanimation », à quoi s’ajoutent « un traumatisme facial sévère, avec fractures de l’ensemble de l’hémiface droite, et des fractures costales ». Les antécédents médicaux de la victime sont en partie responsables de son décès : « hypertension, obésité, diabète, coronaropathie sévère, valvulopathie cardiaque opérée ». Le rapport ouvre prudemment un parapluie : ses conclusions seraient suspendues à « une communication du dossier médical » qui « pourrait déterminer avec plus de précision les circonstances de survenue du décès ».

L’enquête traîne chez le procureur de Marseille

Xavier Tarabeux, procureur de la République de Marseille, déclare le 3 décembre 2018, que Zineb Redouane était décédée des suites d’un « choc opératoire ». Il ajoute « A ce stade, on ne peut établir le lien de cause à effet entre les blessures et le décès » et surtout « le choc facial n’est pas la cause du décès. » Contacté plus tard par CheckNews, Xavier Tarabeux explique que ses déclarations s’appuyaient alors « sur les conclusions provisoires du médecin légiste ».

Une expertise balistique controversée

Du 4 décembre 2018 au 10 mai 2020, l’expertise balistique est réalisée à Lyon. Elle conclut que le policier n’a pas visé la victime. Le rapport du médecin légiste est consultable là.
Confiée à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) de Marseille, l’enquête a déterminé l’heure exacte du tir, l’arme utilisée – un lance-grenades de type Cougar – et la compagnie de CRS présente au moment des faits.

25 décembre 2018 – Contre-autopsie à Alger

Selon la contre-autopsie réalisée en Algérie, où le corps de la défunte avait été rapatrié, la mort de Zineb Redouane serait directement liée au tir d’une grenade lacrymogène par un membre des forces de l’ordre. « La victime présentait un important traumatisme facial imputable à l’impact d’un projectile non pénétrant. […] L’importance de ce traumatisme est directement responsable de la mort par aggravation de l’état antérieur de la défunte, malgré les soins prodigués en urgence. »

19 janvier 2019 – Un second médecin légiste à Marseille ne se prononce pas

Dans un rapport évasif, Marie-Dominique Piercecchi-Marti ne se prononce pas sur les causes de la mort. Elle souligne, comme le précédent médecin légiste le 3 décembre 2018, que « ces données ne sont pleinement interprétables qu’en confrontation avec le dossier médical ». Elle a depuis dirigé une thèse de doctorat intitulée « Etude de la transmission des forces à l’extrémité céphalique suite à un impact facial ». Une recherche qui peut se traduire par « Comment se porte votre crâne après avoir reçu en pleine face une grenade à 97,2 km/h… » Marie-Dominique Piercecchi-Marti est-elle la mieux placée pour diriger cette thèse ?
1er janvier 2021 – Marie-Dominique Piercecchi-Marti est promue au grade de chevalier de la Légion d’honneur.

19 mars 2019 – Castaner : Zineb Redouane est morte d’un choc opératoire

Le ministre de l’Intérieur, qui s’est fié à Xavier Tarabeux, lequel s’était fié au médecin légiste, déclare : « Je ne voudrais pas qu’on laisse penser que les forces de l’ordre ont tué Zineb Redouane, parce que c’est faux. Elle est morte d’un choc opératoire après, effectivement, sur son balcon elle ne manifestait pas, avoir semble-t-il reçu une bombe lacrymogène qui avait été envoyée et qui est arrivée sur son balcon. » [NDLR : L’appartement de Zineb Redouane n’a pas de balcon, voir photo. Elle a donc bien été tuée à l’intérieur de chez elle.]

6 juillet 2019 – Le coup de la caméra de surveillance en panne

Me Yassine Bouzrou, avocat de Milfet Redouane, la fille de la victime, porte plainte pour « faux en écriture publique aggravé », sur fond de questionnements sur le dysfonctionnement d’une caméra de surveillance. En effet, pour mener leur enquête, qui n’a abouti nulle part, les policiers de l’IGPN n’ont pas analysé d’images des réseaux sociaux mais uniquement celles issues de quatre caméras de vidéosurveillance, dont la plus proche — quelle malchance ! — n’aurait pas fonctionné.

28 août 2019 – Castaner : « Il faut arrêter de parler des violences policières »

Jean-Jacques Bourdin sur RMC et BFM TV pose la question de l’avancée de l’enquête et de la responsabilité de la police. Christophe Castaner indique que l’enquête est en cours et qu’il n’y a pas accès, puis il répète sa déclaration du 19 mars et ajoute enfin : « Qu’on n’accuse pas la police d’avoir tué quelqu’un, qu’on ne la traite pas d’avoir assassiné quelqu’un, ça n’est pas le cas. »

Août 2019 – « Dépaysement » à Lyon

L’enquête judiciaire est finalement « dépaysée » à Lyon, puis Xavier Tarabeux est muté à Metz, le 25 janvier 2020, après avoir profité du soleil de Provence depuis le 3 mars 2012. Quant à Christophe Castaner, il quitte le ministère le 6 juillet 2020.

juin 2020 – Les avocats de la famille Redouane portent plainte

Me Yassine Bouzrou juge les conclusions du rapport balistique « totalement scandaleuses. On a un tir effectué à 37 mètres de distance, avec une trajectoire de bas en haut, et l’expert arrive à soutenir qu’il est fait dans les règles ! On a affaire à un tir tendu, et non “en cloche », effectué par un policier qui ne peut pas ignorer qu’il peut y avoir des habitants dans l’immeuble ». Il qualifie l’expert en balistique de « pseudo-expert » – ce serait un policier inscrit auprès de la Cour de cassation, assisté d’un médecin légiste – dont l’avocat compte demander « la radiation ».
Me Brice Grazzini, avocat de Sami Redouane, le fils de la victime, charge plutôt l’IGPN, qui mène les interrogatoires : « Rien n’est fait en profondeur, il faudrait aller plus loin, ce sont dans les détails que se cachent les informations intéressantes. Les cinq armes en cause dans cette affaire ont été remises à la disposition d’autres policiers, l’IGPN aurait mieux fait de les saisir pour les expertiser. J’en ai marre de ces méthodes ! »

30 novembre 2020 – Une contre-enquête balistique à Londres

Une contre-enquête est menée par le média d’investigation en ligne Disclose et le groupe de recherche basé à Londres Forensic Architecture.
En voici les grandes lignes.
Les faits – Zineb Redouane, 80 ans, décède à 22 h 20, à l’hôpital marseillais de la Conception. La veille, le 1er décembre, en marge de l’acte 3 des Gilets Jaunes, elle a été percutée en plein visage par une grenade lacrymogène lancée à 97,2 km/h.
L’analyse – Elle « contredit le rapport d’expertise » officiel qui concluait que le lance-grenade à l’origine du tir avait été « utilisé selon les préconisations et les procédures d’emploi en vigueur dans la police nationale » et mettait hors de cause les CRS. La munition utilisée : une grenade de type MP7, « est normalement prévue pour atteindre une cible située à 100 mètres ». Le projectile a, d’après la contre-enquête, atteint Zineb Redouane « au bout de 37 mètres ».
Conclusion – La modélisation 3D de l’environnement « démontre l’existence d’un danger au moment du tir et les responsabilités du tireur et du superviseur sont clairement engagées ».

2021 – Le patron de la police ne poursuit pas le policier responsable

20 mai 2021 – l’IGPN (Inspection générale de la police nationale) estime dans son rapport que le CRS avait réalisé un tir réglementaire sans viser délibérément la victime, mais avait manqué à « l’obligation de discernement par une action manifestement inadaptée ».
30 octobre 2021 – Bien que — gentiment — mis en cause par l’IGPN, le CRS tout comme son supérieur qui le supervisait au moment du tir ne seront pas renvoyés en conseil de discipline. C’est le patron de la police nationale (DGPN), Frédéric Veaux, qui l’a décidé. Les deux fonctionnaires, « très bien notés », vont devoir effectuer « un stage » pour se faire « rappeler les consignes en vigueur sur l’emploi des moyens de défense ».
Frédéric Veaux est lui aussi très bien noté, puisque le 1er janvier 2021, il a reçu le grade de commandeur de l’ordre du Mérite.
9 juillet 2020 – Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a nommé Véronique Malbec (femme de Frédéric Veaux) directrice de son cabinet. Cette nomination n’a pas contribué à relancer l’enquête.

L’enquête en 2021. Quelle enquête ?

août 2019 – L’affaire est dépaysée à Lyon suite à des soupçons de collusion entre le parquet de Marseille et les policiers mis en cause.
22 octobre 2019 – Deux juges d’instruction lyonnais, Florence Lareal et Cédric Antoine, sont nommés sur l’affaire par le tribunal de grande instance. À ce jour, aucune garde à vue aucune mise en examen. Les avocats de la famille espéraient que les juges réclameraient une nouvelle expertise… Mais il ne s’est rien passé.
30 août 2021 – Cédric Antoine reçoit de l’avancement.
2021-2022 – Il enseigne à Lyon III.
Cédric Antoine s’intéresse-t-il à l’affaire Zineb Redouane ? On pose juste la question.

Egalement chargée de l’affaire, Florence Lareal reste introuvable depuis sa nomination au TGI de Lyon en 2019. On a regardé sur Copains d’avant, sur le Journal officiel rubrique croix et compliments : rien de rien !
Pas besoin de ciment aux pieds d’un cadavre pour se débarrasser de ce qui gêne. Un monceau de paperasses entassées dans un coin de tribunal peut suffire à enterrer une affaire. Quelques décorations, promotions, et l’oubli feront le reste.

Jacqueline pour Le Média en 4-4-2.

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