La merveilleuse histoire de Toque-Manette

mise à jour le 10/03/21

Pieds Nickelés recadrés

Il était une fois, dans la province de Roussillon, un petit village où coulait une charmante rivière. On appelait le maire tout simplement « Toque-Manette ». De toute main serrée pouvait surgir un électeur et comme sa première élection s’était gagnée ric-rac, il ne négligeait aucune main tendue. Certes, il ne courait pas après les  22 000 euros d’indemnités de maire. Non, c’était un garçon qui avait beaucoup travaillé et — grâce à quelques manettes bien placées — avait atteint des fonctions qui faisaient de lui l’un des fonctionnaires les mieux payés de France (200 000 euros par an). Tout discrètement, Toque-Manette était devenu 

– conseiller départemental (25 600 euros par an),
– directeur des Affaires sanitaires et sociales dans le Var (36 000 euros),
– secrétaire général de la préfecture de Vaucluse (38 000 euros)
– président de la Chambre régionale des comptes d’Alsace (47 000 euros).

Ses revenus ne lui faisaient pas oublier sa région dont il gardait l’accent chantant.

« Toque-Manette » devient « couteau suisse »

Toque-Manette est monté à la Capitale. Et là, il est devenu
– directeur de cabinet au ministère de la Santé (pour appliquer la tarification à l’activité dans les hôpitaux),
– directeur de cabinet au ministère du travail
– conseiller aux affaires sociales auprès du président
– secrétaire général adjoint de l’Élysée
– conseiller maître à la Cour des comptes,
– délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 (160 000 euros par an)
Certains, dont le regretté Patrick Buisson, ont pensé à lui pour devenir ministre de l’Intérieur.
Le Premier ministre le charge de « coordonner le travail de réflexion du gouvernement ». La tâche est rude !

Cette montée vers les cimes s’achève en apothéose lorsque Toque-Manette devient Premier ministre. Il peut alors expliquer à ceux qui se permettent de ne pas assez travailler, qu’il n’y aura « pas de coup de pouce au Smic », tout en ajoutant, avec sa gentillesse gasconne, « vraisemblablement pas ».

Toque-Manette et les deux gitans 

Il y a fort longtemps, en fait depuis l’élection de Toque-Manette à la mairie, deux gitans, Lind Rey et Pepino Baptiste étaient propriétaires de deux terrains, dont une casse autos, situés sur les berges de la Têt. Une rivière qui sort parfois de son lit, la coquine ! et vient polluer le terrain et voler ferrailles, bouteilles de gaz, machines à laver et vieilles carcasses d’autos. Par hasard ce terrain est situé tout près de la déchetterie du village. Voici la discussion telle qu’elle s’est déroulée entre Toque-Manette et les deux gitans.

Pepino Baptiste : Monsieur le maire, j’ai un autre terrain à côté de mon frère, près de la casse. Ça vous dérange pas que j’y stocke la ferraille ?
Toque-Manette : Bé !
Pepino Baptiste : Personne n’est au courant. A part les gars de la déchetterie qui nous donnent un coup de main avec les bennes de la mairie. A part votre tonton. Et puis…
Toque-Manette : Noundidiou ! qu’est-ce que c’est cette enveloppe ? Non, non, il ne fallait pas ! Enfin, c’est pour vous rendre service et surtout à votre communauté. Je sais que je peux compter sur vous.

Une crue ! Quelle cagade !

Tout allait pour le mieux, sauf pour la rivière qui se plaignait du voisinage. Mais, douze ans après, c’est la cagade ! La rivière en a assez et déborde de colère. La municipalité doit remettre en état le terrain plein de déchets et de ferraille. Elle parle même de lancer un appel d’offres pour faire les choses légalement ! Personne n’y avait pensé auparavant. Maudite crue ! 

De la pure jalousie, on vous dit 

Des jaloux raniment un vieux récit qu’on croyait perdu dans les limbes de l’histoire locale. Une historiette, sans plus. Et ça enfle et remonte même jusqu’à Matignon qui évoque une « décharge sauvage très ancienne », existant « bien avant » l’élection de M. Castex en 2008 et « dont aucun élu ne connaissait l’existence », car « elle était recouverte de végétation ».

Les gitans ont perdu leur protecteur

Les gitans se sentent abandonnés. Monsieur le Maire avait toujours renouvelé l’autorisation, sans contrat bien sûr, sans parler d’argent, d’homme à homme. Et tout d’un coup il les renie ! L’appel d’offres ? quel appel d’offres ? Cela ne concerne pas les gitans.
Pepino Baptiste : Qui sont les fautifs ? Ce sont eux ou nous ? Ce sont eux qui ont les pleins pouvoirs. Ils se sont servis de nous, et maintenant ils nous jettent comme des Kleenex.
Lind Rey : Monsieur le maire a toujours tenu parole avec moi. On s’est toujours arrangés jusqu’à présent. Je ne pense pas qu’il va nous laisser tomber.

La famille avant tout 

Les enquêteurs convoquent  le maire de Ria-Sirach, à 4 km du village du scandale. Il est vice-président de la communauté de communes, donc bien au courant des problèmes. Mais, trois jours après l’accession de Toque-Manette à la fonction de Premier ministre, l’enquête est brusquement stoppée. Pas de chance : c’est juste avant l’audition du maire de Ria-Sirach, Jean Mary, qui se trouve être le tonton par alliance de Toque-Manette. Le tout nouveau Premier ministre « atteste n’être jamais intervenu dans cette enquête qui ne met pas [en cause], ni de près ni de loin, sa responsabilité », assure Matignon.

Une histoire qui finit bien

Un journaliste à la recherche du chef des canailloux, interroge la vice-procureure Élodie Torres. Elle botte en touche : l’enquête touchait à sa fin et a été transmise au procureur « pour appréciation ». Qu’à cela ne tienne, le Rouletabille interroge le procureur, Jean-David Cavaillé. Celui-ci explique que le choix d’arrêter les investigations « n’est pas lié à la nomination du Premier ministre ni à ses liens avec le vice-président de l’intercommunalité en charge de la déchetterie, mais au traitement des éléments objectifs et juridiques du dossier ».

Au village, la vie continue… et dans son beau palais, celui qu’on appelait Toque-Manette coule des jours heureux. On ne l’appelle plus que Jean Castex (nom dont l’origine remonte aux castels d’antan en vieux gascon), un blase plus relevé, mais on sait que Toque-Manette il est, Toque-Manette il restera.

Jacqueline pour Le Média en 4-4-2

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