Baudrillard et la disparition du monde réel

mise à jour le 21/03/21

Sémiologie, John Hain

Qu’est-ce que le réel ? ou plutôt quels sont les mécanismes en jeu qui donnent un sens réel, contrairement à l’irréel, au simulacre ou au virtuel ? Telles sont les questions qui se sont développées à partir de Saussure avec la sémiologie puis avec le structuralisme des années 70. Baudrillard, sémiologue et philosophe post-structuraliste, a développé des théories intéressantes dans le contexte de nos sociétés cernées par les images.

Platon et les sophistes

L’idée que notre rapport au monde dépend de nos systèmes de représentation de ce monde n’est pas nouvelle. Déjà lorsque Platon rapporte l’opposition de Socrate aux sophistes, il pose la question de la meilleure manière, et surtout de la moins moralement condamnable, de faire.

Car déjà chez Platon notre langage est une manière de représenter le réel grâce à des mécanismes complexes de signes. Pour faire simple, nous ne sommes pas directement capables d’appréhender le réel. Pour y arriver, nous devons passer par le langage qui se présente comme un ensemble de signes nous permettant de nous approcher au plus près de la réalité. Mais pour Platon, il y a des sortes de conventions à respecter avec le langage pour garder intact notre rapport au réel. Si nous jouons trop avec ces signes, si nous les manipulons pour persuader quelqu’un d’adhérer à une idée, nous risquons de nous éloigner du réel. Les idées qui sont alors transmises par le langage ne sont plus une copie stricte du réel mais une déformation de celui-ci.

On est alors en plein simulacre. C’est ce que Platon appelle le sophisme : un langage qui, détaché du réel, donne un sens déformé de la réalité. Pour lui cet usage de la langue est dangereuse, car elle éloigne l’auditoire d’une représentation véridique, tout peut alors se valoir, seul compte l’enchaînement mécanique des mots.

Saussure et la sémiologie

Cette tradition d’étude de la langue comme système de sens a trouvé un nouveau souffle avec Ferdinand de Saussure. Il a étudié la manière dont les êtres humains échangent du sens et s’accordent sur une représentation du monde. Ça a donné naissance plus tard au structuralisme. Il a mis en évidence la logique selon laquelle lorsque j’écris actuellement le mot « arbre », vous lecteur, vous puissiez le comprendre. Quel mécanisme fait qu’en lisant ce mot, dans votre esprit se forme la figure d’un arbre afin que nous puissions ensemble nous mettre d’accord ?

La structure du signe

Pour cela, trois choses sont à prendre en compte : Le signifié, le signifiant et le référent qui forment à eux trois le signe.

Le signifiant : c’est le mot en lui-même, la suite des lettres A-R-B-R-E dont en français nous avons tous appris à reconnaître le son.
le signifié :  c’est le concept, ou l’image purement mentale de l’arbre qui vous vient en tête lorsque vous entendez ce son.
Le référent : c’est l’arbre réel que vous avez croisé dans votre vie, à partir duquel vous pouvez former dans votre tête le signifié.

Saussure a permis à ce genre d’analyse de se développer. Son approche du langage a eu une immense répercussion dans les milieux intellectuels et a fait naître la sémiologie et le structuralisme comme méthodes d’analyse de nos rapports humains dans nos société modernes.

Le signe dans l’image

Ce système de représentation du monde marche sur tous systèmes de langage y compris l’image. Prenons l’exemple d’un arbre encore une fois :

Le signifiant : dans une image c’est l’objet photographié ou filmé. Ici l’arbre. Mais aussi la technique avec laquelle il est pris dans l’image en question. Est-il dans un champ, en haut d’une colline, au milieu d’une ville, près d’un ruisseau ? Y a-t-il un homme adossé à cet arbre ? L’image est-elle en noir et blanc ou en couleurs, en gros plan ou en plan large ?
Le signifié : avec l’image, le signifié correspondra au contexte dans lequel l’arbre sera placé. Pour chaque situation décrite précédement, vous lecteur, avez eu un concept différent en tête. Si l’arbre est pris en noir et blanc par exemple, le concept de l’arbre se raccrochera à une autre époque. S’il est au milieu d’une ville ou au contraire dans un champ, l’image appellera une conception différente de l’arbre.
Le référent : c’est là aussi la situation réelle à laquelle se raccroche l’image de l’arbre dans votre vie. Si c’est une question de couleur ce sera ce à quoi renvoie cette couleur. Le noir et blanc renvoie à un temps passé. Mais si c’est un point de vue, par exemple si l’arbre est pris par le bas en contre-plongée, cela renverra à l’enfance. Car généralement lorsque nous sommes enfant nous devons lever la tête pour regarder les choses.

On comprend dès lors que l’image, en fonction de sa composition, a une incidence très forte sur le sens qu’elle va donner. C’est typiquement ce dont la publicité se sert pour vendre ses produits. En composant l’image grâce à des couleurs, des angles particuliers, grâce à la présence ou au contraire l’abscence d’objets dans le champ, elle va appeler chez celui qui la regarde des signifiés qui vont donner un sens à un objet qui, à l’origine, n’est qu’un produit d’usinage. La publicité invente de toutes pièces une histoire du produit.

Les structuralistes

Du chemin a été fait depuis les théories platoniciennes. Et l’idée selon laquelle le langage est relié à une vérité qu’il faudrait préserver dans notre manière de représenter le monde a plus ou moins disparu pour laisser place à la théorie selon laquelle le langage est un phénomène que nous déterminons et qui en retour nous détermine grâce à des conventions.

La structure systémique

De là se développe une branche du structuralisme qui prône l’idée que tout système de langage par les mots ou par l’image est systémique. La représentation du monde qui nous entoure est reliée à la convention à un moment donné que le système décide d’adopter pour que nous aillons tous en commun la même réalité. Il n’y a pas a proprement parler de problème moral, si ce développement suit un processus naturel. Mais justement certains structuralistes avancent que ce développement n’a rien de naturel et qu’il est influencé par une idéologie.

Une structure politique

Le structuralisme envahit le domaine politique et présente nos sociétés modernes comme des vecteurs de perte de sens. En effet, pour des penseurs tel que Roland Barthes les représentations de nos sociétés ne sont pas naturelles, et par le biais de la communication et de l’image, elles manipulent notre rapport au monde en jouant sur la signification des objets qu’elles représentent.

Dans Le Mythe aujourd’hui, il met en évidence qu’un autre système sémiotique se superpose au premier pour le vider de son sens. Pour lui la mythologie aujourd’hui est un vol du langage qui sert une classe bourgeoise qui a imposé son regard sur le monde pour le naturaliser. Chez lui le langage est un vecteur très fortement politique.

Le signifié et le référent sont utilisés pour donner un autre sens au monde et ainsi induire chez nous un regard particulier sur celui-ci. Si pour le mot « arbre » le signifié n’a pas trop changé, qu’en est-il alors du mot « démocratie », du mot « progrès » ou « durable » que l’on entend à longueur de journée et dont les hommes politiques se servent pour légitimer des actes qui ne relèvent pourtant pas de la vérité de ce que ces mots signifient.

Baudrillard simulacre et simulation

Pour Baudrillard, l’homme avec le temps s’est tellement éloigné du sens premier des mots, que le signifié n’est plus lié à quelque chose de réel.

Ainsi, tout notre système de représentation du monde ne reposerait que sur des concepts abstraits. De par cette absence de racine du sens nous vivrions dans une simulation, un simulacre de la réalité. Comme chez Barthes l’arrivée de l’image dans nos sociétés modernes a amplifié ce phénomène.

Conséquence, au lieu de rattacher notre conception du monde sur une réalité vécue, nous la rattachons à des représentions transmises par l’image, les médias, la pub, le cinéma. Nous serions alors dans une représentation de la représentation, en perte de lien direct avec la réalité. Avec l’image, notre référent est coupé de l’expérience, et le signifié est alors complètement malléable ouvrant ainsi pour l’image une voie royale à la manipulation. Le rapport au monde n’est alors qu’une impression véhiculée par les images.

Nous regretterons seulement chez Baudrillard l’absence d’une analyse politique car pour lui, contrairement à Barthes qui y voit la conséquence d’une prise de pouvoir de l’idéologie bourgeoise sur le monde, ce phénomène est en quelque sorte naturel. En lui enlevant son origine politique, il détruit la possibilité de le combattre.

Paul pour Le Média en 4-4-2

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