Un symbole apparaît de plus en plus dans les manifestations contre les mesures liberticides : une patte d’oie rouge. Elle évoque « Les Cagots », une population, accusée à tort de véhiculer des maladies au Moyen-Âge, victime de nombreuses restrictions et discriminations. Certains ont fait un parallèle avec ce que vivent ceux qui refusent l’injection expérimentale. Pour savoir qui sont ceux qui ont décidé de remémorer l’histoire des Cagots, nous avons rencontré deux membres de ce « groupe de potes » pour un entretien sur cette « histoire qu’on voudrait oublier » et leurs actions sur le terrain.
« Des choses que l’histoire aimerait oublier… »
Le Média en 4-4-2 : Bonjour Alasso et Mammique, et bienvenue sur Le Média en 4-4-2 ! Nous vous avons invités pour nous parler des Cagots, un terme qui désignait entre le VIIIe et le XIXe siècle une partie de la population française accusée à tort de porter et de propager des maladies. Avant d’entrer plus en détail dans cette partie inconnue de l’histoire de France, pouvez-vous nous dire comment vous avez découvert l’existence des Cagots ?
Alasso : Avec Mammique, on est amis depuis près de neuf ans ; je suis Parisien et je n’avais donc virtuellement aucune chance de découvrir cette histoire sans mon pote toulousain ! Comment tu es tombé dessus Mammique ?
Mammique : Une amie toulousaine m’en avait parlé il y a longtemps, j’avoue que ça m’avait laissé dubitatif. J’ai zappé le truc. C’est depuis quatre ou cinq ans que je suis retombé dessus en étudiant l’histoire des Cathares. J’ai senti qu’il y avait un truc pas catholique derrière cette histoire… Quelque chose de gênant, comme l’histoire des Cathares. Des choses que l’histoire aimerait oublier…
« Les Cagots ont toujours été vus, soit comme porteurs de maladies graves, soit comme porteurs de malédictions »
Le Média en 4-4-2 : L’histoire des Cagots aurait donc débuté dans le sud-ouest de la France, sans doute dans les Pyrénées. Comment et pourquoi cette discrimination a-t-elle été mise en place ?
Mammique : Les historiens ne sont pas tous d’accord là-dessus, mais Alasso a plus étudié le sujet que moi dernièrement. Le seul truc sur lequel tous les historiens sont d’accord, c’est la discrimination et la persécution. En ce qui concerne le pourquoi, et qui ils sont, chacun y va de sa théorie. En tout cas c’est pour cet aspect discriminatoire incontestable qu’on a trouvé le sujet en phase avec l’actualité. Il n’y a donc pas polémique à ce niveau. Même si certains critiques ou détracteurs essayent de faire diversion en pinaillant sur des futilités historiques, c’est bien cet aspect-là qui est central. Incontestable. Les malheureuses tentatives de dénigrement de ce parallèle sont obligées de se rabattre sur des angles d’attaque de second choix. Ce qui met généralement leur mauvaise foi au jour, et nous conforte dans le fait que nous avons visé juste.
Alasso : Ce qui ressort de mes recherches et vérifications, c’est que les raisons de leur exclusion sont, pour le moins, confuses. Il faut être honnête et lucide là-dessus. Ce qui est avancé depuis le XVIe siècle par différents historiens, chercheurs et scientifiques, pour expliquer et décrire la condition des Cagots, demeure à l’état d’hypothèse jusqu’à nos jours. Ceci étant dit, plusieurs pistes sont privilégiées et intéressantes tant du point de vue historique que logique. Tout ce qui concerne leur origine ethnique est un angle particulièrement utilisé par exemple (gardez à l’esprit qu’il n’existe aucun consensus à ce sujet parmi les historiens). Théophile Roussel, qui a sillonné le sud-ouest au XIXe siècle dans le cadre de ses recherches en médecine, soutient l’idée que les Cagots sont descendants de Wisigoths. Les Francs, catholiques, auraient donc traité les Cagots de cette façon dans un esprit de revanche, contre ceux qu’ils auraient vus comme anciens envahisseurs, oppresseurs, arianistes et qui avaient été persécuteurs en leur temps. L’explorateur « pyrénéiste » Louis Ramond de Carbonnières avançait déjà cette thèse au XVIIIe siècle. D’ailleurs on dit même de l’étymologie du mot « Cagot » qu’elle serait dérivée de l’Occitan ou de la vieille langue béarnaise qui signifiait « Chien de Goth ». Vient ensuite la piste sarrasine qui développe quasiment les mêmes arguments notamment via l’excellent historien Pierre de Marca au XVIIe siècle, et qui remet en cause explicitement la piste wisigothe en attribuant l’ascendance des Cagots aux Sarrasins, comparant leurs mœurs à celles des Syriens. Par ailleurs, d’autres pistes moins privilégiées existent mais sont tout de même explorées avec beaucoup de sérieux, notamment de possibles origines vikings, juives, gitanes, celtiques… Ce qu’il y a de plus important et ce à quoi nous nous sentons rattachés dans notre contexte actuel de 2022, c’est que peu importe l’hypothèse que vous choisirez sur leur origine, le volet « sanitaire » sera toujours présent. C’est vraiment le dénominateur commun et ce qui met d’accord tout le monde. Les Cagots ont toujours été vus, soit comme porteurs de maladies graves, soit comme porteurs de malédictions. Il faudra longtemps avant que des médecins et autres scientifiques démontrent qu’il n’en était rien. Le mystère reste donc entier sur les racines de ce calvaire et ça nous va très bien comme ça. Rien ne peut justifier un traitement aussi ignoble et interminable de toute façon. Ça nous donne un nouveau terrain de recherche et de nouvelles perspectives pour comprendre notre présent.
Mammique : Oui c’est l’aspect sanitaire qui est important, ça commence comme ça, même infondé, et ça s’étend à d’autres prétextes. Pour les Juifs ça a commencé avec l’accusation de véhiculer le typhus.
Le Média en 4-4-2 : Que pouvez-vous nous dire sur les conditions de vie des Cagots ? Il est souvent dit par exemple qu’ils étaient parqués à l’extérieur des villes (« les cagoteries »), que l’accès à certains lieux leur était refusé, ou encore qu’ils ne pouvaient exercer que des métiers déterminés…
Alasso : Je peux vous faire la liste la plus exhaustive qui ait été portée à ma connaissance, si vous avez cinq minutes ! En effet ils n’habitaient pas les mêmes lieux que le reste des citoyens. Leurs habitations ressemblaient à des groupements de huttes placés à la périphérie des villages (souvent séparés par une rivière ou une forêt). Il leur était défendu de commercer avec les habitants. Les seuls métiers qui leur étaient permis étaient principalement liés au bois : charpentiers, menuisiers, bûcherons, tonneliers, parfois cordiers en Bretagne.
Ils n’avaient pas le droit de porter des armes et en temps de guerre, il leur était demandé de mettre leur métier à contribution mais jamais de se battre aux côtés des soldats. Ils ne recevaient pas ou peu de salaire, mais étaient parfois exonérés d’impôts. Il leur était interdit de travailler des champs autres que les leurs. Interdit d’épouser en dehors de leurs communautés. Leurs naissances n’étaient pas célébrées et on les nommait dans les registres par des noms soit humiliants, soit génériques (on leur donnait un prénom suivi de Chrestias, Cagot, Gézitain ou encore Lazare, pour la référence biblique). Ils n’avaient pas le droit de fréquenter les bains, les lavoirs, les fontaines. Notez en passant que tout ceci est codifié très officiellement, à travers des ordonnances, des statuts, des coutumes (au sens du droit), des lois… Tout ce qu’il y a de plus officiel jusqu’au plus haut sommet de l’État féodal (du duc jusqu’au roi en passant par l’évêque).
À l’église ils doivent littéralement entrer par la petite porte qui donne sur le fond, souvent séparés du reste des fidèles par une barrière. On leur réserve des bénitiers minables, petits et cachés. On leur tend l’hostie à bout de bâton. Quand on leur accorde des sacrements, ce qui est rare, c’est dans l’obscurité de la nuit, à l’abri des regards qu’on baptise les enfants, par exemple, et surtout sans bruit. Ils construisent leurs propres cimetières et sont parfois inhumés dans l’anonymat, sans stèle, sans cérémonie. Autre fait ignoble, quand il s’agissait de justice, leurs témoignages ne valaient rien ; il ne fallait pas moins de cinq ou sept Cagots pour égaler le témoignage d’un seul citoyen. Ça fait déjà beaucoup non ? Et encore ceci n’est que ce qui était réglementé officiellement. Dans l’usage, leur quotidien était fait d’insultes, d’humiliations, de moqueries… Bien sûr, toutes ces restrictions n’ont pas toujours été cumulées. Selon le lieu et le siècle il y a eu des suspensions, des dérogations, jusqu’aux abolitions après la Révolution. Mais on voit bien qu’il y a quelque chose d’absurde et d’irrationnel, surtout quand on apprend que la lèpre qu’on les accusait de porter n’a rien d’héréditaire et qu’au final il s’agissait vraiment d’hommes et de femmes sans distinction apparente, des gens comme vous et moi.
Le Média en 4-4-2 : On en vient à ce fameux signe distinctif : la patte d’oie ! Quelle en est son origine ? Est-ce que c’était obligatoire pour un Cagot de la porter à ses vêtements et de la mettre sur sa porte d’habitation ?
Alasso : Évidemment, le symbole le plus caractéristique des Cagots est cette fameuse Patte d’Oie. Encore une fois, c’était parfaitement réglementé. Selon le lieu et l’époque, elle devait être d’une certaine dimension, cousue, gravée… Ce qu’on retrouve le plus souvent, c’est que les Cagots devaient faire coudre la patte d’oie au niveau de la poitrine, sur leur vêtement. On retrouve également des traces de gravures sur les portes de leurs habitations, et même sur les ponts qu’ils devaient emprunter, à l’écart des routes et des sentiers qui leur étaient interdits. Ah oui, n’oublions pas de mentionner que certains sentiers leur étaient réservés et qu’ils étaient balisés avec cette patte d’oie ! Et avec un petit effort d’imagination, les marquages au sol aujourd’hui dans le cadre de la « distanciation sociale » font légèrement penser à ça. On retrouve aussi cette patte d’oie sur ces bénitiers qui leur étaient réservés. Beaucoup de ces gravures ont disparu mais en cherchant bien, on peut encore trouver des illustrations ou des récits sans équivoque. Pour ce qui est de l’origine et du pourquoi de la patte d’oie (ou patte de canard), je ne pourrai qu’indiquer aux plus curieux la piste de la Reine Pédauque d’Anatole France ou de Rabelais. C’est un mystère qui n’est pas prêt d’être totalement dévoilé et qui a généré des dizaines d’hypothèses, mais force et courage à celles et ceux qui creuseront.
Dernière chose, le fait qu’ils devaient se déplacer avec une crécelle pour annoncer leur passage, est un fait disputé, mais bien avéré à certaines époques et dans certaines régions. Rappelons aussi qu’ils n’étaient pas confondus avec les lépreux. Le traitement et les distinctions étaient tout à fait différents — en dehors de cette crécelle qui a pu parfois être commune aux deux.
Mammique : Parfois dans les églises un chemin réservé aux Cagots était balisé au sol avec des pattes d’oie ou de canard… Le concept archétypal légendaire rattaché à la patte d’oie serait celui de la Mère L’Oie, avec un accent plus prononcé sur une de ses déclinaisons : la Reine Pédauque (La Reine Patte d’Oie en occitan). Il n’y pas qu’une seule façon d’illustrer cette patte, en revanche sa couleur rouge semble unanime. Elle paraît plus souvent illustrée avec trois doigts en l’air, certains disent en référence à une pièce de charpenterie appelée sablière, par rapport au métier de charpentier exercé par les Cagots. À noter que Marie-Madeleine était la patronne des cordiers et des lépreux, tandis que Joseph était charpentier. Des concepts fortement rattachés aux Cagots.
« Le parallèle avec ce qu’on vit aujourd’hui m’a frappé tout de suite »
Le Média en 4-4-2 : Quand et comment avez-vous fait le parallèle entre ce que subissaient les Cagots et ce que vit une minorité de la population française de nos jours ?
Alasso : Quand je les ai découverts grâce à Mamique, et après avoir vérifié que les accusations étaient complètement mensongères, le parallèle m’a frappé tout de suite. Surtout cette patte d’oie comparable au QR-code (mais pour les supposés malades), ces chemins balisés comme les marquages de « distanciation sociale » qu’on voit au sol partout aujourd’hui, ou encore cette séparation dans les lieux publics comme ces images qu’on a pu voir des files d’attente pour vaccinés et non-vaccinés dans certains aéroports ou les marchés de Noël. Autre chose qui m’a parue dangereusement comparable, c’est le fait qu’on leur refusait tous ces métiers, et qu’aujourd’hui des infirmières ou des pompiers sont suspendus. Il y a même eu des débats pour savoir si on devait imposer cette « vaccination » dans tous les métiers du privé, ce qui est déjà le cas dans certains pays je crois. Bref, j’en suis à me demander si on ne devrait pas tous envisager une reconversion dans les métiers du bois ! En plus il paraît que ce sont les métiers qui recrutent le plus en ce moment !
« Ce symbole doit appartenir à tous ceux qui valorisent la liberté et ne veulent pas répéter les erreurs du passé »
Le Média en 4-4-2 : Vous avez donc décidé de lancer votre collectif. Comment vous organisez-vous ? Et quelles sont vos actions et manifestations ?
Mammique : Je ne sais pas si on peut dire qu’on a décidé quoi que ce soit, ni lancé quoi que ce soit, ni que ce soit un collectif ! Disons qu’on a décidé de remémorer l’histoire des Cagots, que ça a suscité de l’enthousiasme, et qu’on a continué. C’est plus un amas d’initiatives individuelles parallèles qu’un mouvement ou une initiative. Quiconque se reconnaît dans l’histoire des Cagots peut s’en revendiquer, sans avoir à nous demander quoi que ce soit. C’est ce qu’il s’est passé, on a découvert des initiatives revendiquées Cagots par hasard, sans avoir été informés, et même en cherchant a posteriori on a découvert que d’autres avaient fait le parallèle avant nous, mais ça avait eu moins d’écho. On continue, chacun en notre propre nom, de faire perdurer la mémoire des Cagots, chacun de la façon qu’il le souhaite. Certaines initiatives ont plus d’impact ou de visibilité que d’autres, mais c’est au petit bonheur la chance, il n’y a pas de centralisation, ni de directive.
La première initiative a été de rappeler l’histoire des Cagots avec un petit tract, qui a eu un certain écho : sur France 3 régions, le Midi Libre ou encore La dépêche. De fil en aiguille ça a suscité des vocations.
Alasso : Notre approche n’est pas la plus habituelle (comme tout ce qui se passe aujourd’hui). On n’a pas du tout de structure formalisée, officielle, hiérarchisée… La meilleure façon que j’ai de l’expliquer, c’est qu’à la base, nous sommes juste un groupe d’amis qui souhaitons dépasser les restrictions absurdes qui entravent notre liberté au quotidien. Vous noterez qu’on voit aujourd’hui des centaines de groupes divers du même genre qui fleurissent un peu partout, avec des sensibilités et des approches différentes. On s’inscrit entièrement dans cette nouvelle forme de regroupement très local. Les constats ayant été faits et refaits, on cherche plutôt à agir qu’à bavarder. Alors effectivement on a la chance d’avoir un site qui est la centrale de notre organisation et de nos actions, et évidemment on invite le plus grand nombre à y participer, mais ça reste notre approche ou notre proposition en tant que groupe de potes. La véritable invitation, on la lance à tous les groupes capables de se fédérer au niveau local, dans la proximité, pour qu’à leur tour ils proposent et construisent leurs plateformes et leurs actions. Si on peut générer de l’émulation ou de l’inertie, on est très contents, parce que ce symbole doit appartenir à toutes celles et ceux qui valorisent la liberté et ne veulent pas répéter les erreurs du passé. Pour ce qui est des actions qu’on a initiées, on a donc ce site absolument génial et salvateur qui a pour ambition de rassembler toute la connaissance sur les méthodes de résilience et d’autonomie en matière de ressources, de services et bien d’autres. On ne va pas attendre d’être privés d’absolument tout pour apprendre à reconstruire notre liberté. En parallèle, dans les différentes villes où on habite, on tisse des liens autour de cette histoire et on se voit souvent, on se rencontre, on s’appelle, on se rend service mutuellement, on cotise, on se prête des choses, on sort, on manifeste, on tracte, on affiche, etc. Le témoignage que j’entends le plus souvent en ce moment c’est : « Je ne me suis jamais senti aussi vivant et aussi bien entouré que depuis que tout ça a commencé ». Honnêtement ça donne le sourire et beaucoup de confiance dans notre avenir.
Mammique : Tout-à-fait, et le site lui-même est une initiative parmi d’autres. Il n’a pas vocation à centraliser. D’autres Cagots sont invités à faire leurs propres sites.
« La « Liberté, Égalité, Fraternité » n’a jamais été aussi concrète et positive que depuis qu’ils ont été exclus de la République »
Le Média en 4-4-2 : Vous insistez sur le côté humoristique de vos actions et de la symbolique d’arborer cette patte d’oie, afin de ne pas jouer sur la victimisation. Comment cela se concrétise-t-il sur le terrain ?
Mammique : C’est assez surprenant, car au début l’idée nous a parue évidente, et la majorité des gens la perçoivent comme ça. Arborer la patte d’oie est pour nous un signe d’auto-dérision, d’ironie et de dénonciation. Cependant nous avons été surpris de voir que certaines personnes prenaient cela comme de la stigmatisation ou de la victimisation. Et ce sincèrement, on ne parle pas des détracteurs des anti-pass, on parle d’anti-pass sincères qui ont vu dans ce signe quelque chose de dévalorisant, au premier degré. On a dû en tenir compte dans notre démarche par la suite, en précisant que c’était de l’humour lorsqu’on sent que ça n’est pas évident pour la personne. Cela dit le signe en lui-même n’a rien de dévalorisant. On ne sait pas exactement pourquoi le choix de ce signe, mais toutes les pistes historiques proposées, Mère L’Oie, charpenterie, etc., n’ont rien de péjoratif.
Derrière le côté amusant, il y a quand même du sérieux, qui peut aussi faire tiquer certaines personnes, comme celles qui ont du mal avec l’ironie de la démarche. Notamment le fait de proposer de réelles solutions alternatives pour les exclus du pass. Certains voient ça comme un aveu de défaite, un renoncement à la réintégration à la société qu’on a connue. Alors que certains espèrent encore après deux ans de déconvenues être entendus par le pouvoir en place. Là aussi, on doit rassurer, car si on n’est pas écoutés par le pouvoir en place c’est aussi parce que nous n’avons pas d’alternatives, le pouvoir le sait, il mise sur le désarroi. Or si on crée nos alternatives, on renverse le rapport de forces. Ce qui peut donner lieu à trois issues favorables. Soit ce rapport de forces fait qu’on est entendus, et on peut négocier notre réintégration. Soit il n’est pas entendu, et donc heureusement qu’on a nos alternatives pour vivre. Et finalement, la bonne surprise pourrait être que la société alternative soit meilleure que l’ancienne, et qu’en fin de compte, les nostalgiques du début finiront par préférer leur nouvelle société ! On s’en rend déjà compte, beaucoup de personne ont rompu avec leur anciennes relations sociales, mais en ont trouvé de nouvelles bien plus enrichissantes et solidaires dans les mouvements anti-pass. Pour ces gens la « Liberté, Égalité, Fraternité » n’a jamais été aussi concrète et positive que depuis qu’ils ont été exclus de la République. Quelle ironie ! C’est la vie elle-même qui fait de l’humour là, on est dépassés !
Le Média en 4-4-2 : Pour en revenir aux Cagots « historiques », existe-t-il de telles histoires dans d’autres pays ou est-ce une spécificité française ?
Alasso : Effectivement, il est important de préciser que les origines des Cagots étant pyrénéennes, on les retrouve bien sûr au nord de l’Espagne. Donc ce n’est pas une histoire absolument franco-française mais en nombre et en retentissement au fil des siècles c’est principalement en France qu’on les retrouve. Ensuite pour ce qui est des histoires comparables à ce traitement qui leur fut réservé, on peut bien sûr en citer quelques-unes, n’est-ce pas Mamique ?
Mammique : En effet, il y a les Dalits et les Burakumin, en Inde et au Japon.
« Dire aux gens « C’est pas vrai que vous êtes exclus, il vous suffit de vous faire injecter pour réintégrer la société », c’est leur demander de renoncer à leur intégrité morale »
Le Média en 4-4-2 : Que conseillez-vous à ceux qui veulent maintenant vous rejoindre ?
Mammique : On a un groupe Telegram et un site Cagots.fr sur lequel on propose des solutions à mettre en place pour les exclus. Nous n’avons pas vraiment vocation à être rejoints, mais plutôt à faire connaître ces solutions et l’histoire des Cagots. Pour que ceux qui s’y reconnaissent s’en emparent. Sans avoir de comptes à nous rendre. Le site et le groupe Telegram ne sont que des exemples d’initiatives possibles. Ils ont plutôt vocation à être copiés-collés-améliorés que suivis.
J’insiste vraiment sur le fait que les gens n’ont aucun compte à nous rendre, ni à personne d’autre. On a parfois affaire à des attaques d’une mauvaise foi inouïe, qui n’ont généralement vocation qu’à salir gratuitement tout en contournant le sujet principal de l’apartheid sanitaire, l’éléphant au milieu du salon. On a eu droit à des accusations de réappropriation culturelle. Alors que la culture n’appartient à personne, on ne peut donc la posséder. Et généralement ceux qui disent ça enchaînent en se réappropriant justement la parole des Cagots, inversion accusatoire classique. Prétendant vouloir défendre la mémoire des Cagots, ils parlent en leur nom, disant qu’ils auraient réprouvés notre action. Or si nous nous reconnaissons dans le sort des Cagots historiques, nous n’avons jamais parlé en leur nom. Nous n’avons mis aucun mot ni intention dans leur bouche pour faire valoir notre point de vue, simplement un parallèle. La culture n’appartient à personne, aucune réappropriation possible. Et quand bien même on irait sur ce terrain-là, les Cagots s’étant fondus à la population, nous avons tous potentiellement des origines cagotes, nous sommes tous légitimes à cette revendication. Les rares qui ont osé pousser la mauvaise foi à dénoncer une « réappropriation » sont les premiers à s’approprier la mémoire des Cagots, en distribuant les bons et mauvais points, les autorisations de revendication, etc. C’est une tentative de contrôle du débat déguisée, sous le visage du « justicier compassionnel », du sort des Cagots historiques. On joue sur le terrain des émotions, plutôt que sur celui de l’argumentaire, terrain sur lequel la justification de l’injustifiable apartheid est perdue d’avance. Dites à ceux qui voudraient vous interdire cette revendication que vous ne leur avez pas demandé d’autorisation, et que vous ne leur demanderez pas.
Certains ont même poussé la mauvaise foi jusqu’à dire « Les Cagots auraient été bien contents de se faire injecter pour réintégrer la société ! » Une fois de plus on se les réapproprie et on leur met des mots dans la bouche. Je ne sais pas ce qu’auraient fait les Cagots, mais ce que je peux dire c’est que refuser l’apartheid est une conviction irrévocable qui va de pair avec l’intégrité de la personne. Dire aux gens « C’est pas vrai que vous êtes exclus, il vous suffit de vous faire injecter pour réintégrer la société », c’est leur demander de renoncer à leur intégrité morale. On est contre l’apartheid comme on était résistant, homosexuel, communiste ou Juif pendant la guerre. Aucun chantage ne peut vous faire renoncer à ce que vous êtes. C’est comme si on avait dit à ces gens-là : « C’est pas vrai qu’on vous menace de déportation, il te suffit toi homosexuel de devenir hétérosexuel, toi juif de devenir catholique, toi résistant et communiste de devenir pétainiste. »
Nous sommes nos convictions, tout comme notre identité sexuelle, religieuse, etc. nous définit. Je ne sais pas ce qu’auraient fait les Cagots aujourd’hui. Mais ce que je sais c’est que de part leur savoir de charpentiers, ayant construit les charpentes des cathédrales de France, y compris celle de Notre-Dame de Paris, ils avaient un statut social potentiellement très élevé de par leur érudition. Le savoir-faire qu’ils ont inscrit dans le bois des charpentes est comparable à celui que les Templiers ont inscrit dans la pierre des cathédrales. Ils n’étaient pas n’importe qui. Sans parler en leur nom, je ne serais pas surpris que la crainte qu’ils suscitaient soit fondée sur un pouvoir bien réel, et ces prétendues accusations de maladies un faux prétexte de discrimination. Quand on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage, le typhus, la lèpre, le covid, etc. Donc, est-ce que les Cagots auraient été heureux de renoncer au plus profond de leur être, à leur forte identité, en se faisant injecter pour « réintégrer la société » ? Je ne sais pas, je ne parle pas à leur place, laisse au lecteur le soin de répondre.
De la même manière qu’on a la liberté de revendiquer individuellement. On assume la responsabilité individuelle inhérente à cette liberté. Aucun Cagot ne parle au nom des autres Cagots, on ne revendique pas davantage leurs accomplissements qu’on ne culpabilise de leurs ratés. Cette définition s’applique à elle-même. Elle n’a d’autre valeur que celle de mon point de vue. Personne n’est sommé d’y souscrire.
Alasso : Oui s’il y a une chose sur laquelle vraiment insister, c’est celle-ci. Notre meilleur souhait c’est de voir fleurir des groupes qui fassent des émules et appliquent à leur sauce les principes fondamentaux de liberté et de solidarité qu’on défend. Que ça passe par un site, un club, des rencontres informelles ou autres. Le site cagots.fr est collaboratif donc, par définition, ouvert et en perpétuelle construction. Il a vocation à être étoffé et alimenté par les meilleures ressources et les meilleurs réseaux pour les exclus. Si on veut nous « emmerder » dans le cadre illusoire habituel, il est de notre devoir de nous fabriquer notre propre monde. Combien de temps on devrait rester à pester contre tout et contre tous ? Il est temps d’arrêter de perdre notre temps ! Bienvenue à tous les Cagots !
Mammique : Une des étymologies proposées pour Cagot est justement relative à l’ « emmerdement » (Occitan). Si on vient trop les faire « chier » les emmerdés pourraient devenir les emmerdeurs !
« Ce modèle de société anti-démocratique, faussement progressiste, a révélé toutes ses limites et se transforme en véritable danger pour l’humanité »
Le Média en 4-4-2 : Merci Alasso et Mamique pour toutes vos explications ; le mot de la fin est pour vous !
Alasso : Je dirais pour la fin ; à la lumière de ce qui s’est passé ces deux dernières années, partout dans le monde, et parfois de manière plus frappante encore, en Australie, en Italie, en Autriche en Allemagne, en France ou au Canada, on aurait tort de penser qu’on n’est pas concernés par ces dérives totalitaires. Ce modèle de société anti-démocratique, faussement progressiste, a révélé toutes ses limites et se transforme en véritable danger pour l’humanité. Mieux vaut s’assumer en tant que cagots et construire de nouvelles charpentes plus solides pour l’avenir que de rester passifs en attendant un changement qui ne viendra pas de l’extérieur !
Mammique : Je dirais que quiconque est bienvenu à se revendiquer Cagot, mais ce n’est évidement pas obligatoire. On ne va pas vous interdire l’accès à l’hôpital ou vous virer de votre travail si vous ne voulez pas vous revendiquer Cagot. Ni vous prélever des impôts pour construire notre société alternative, que vous n’approuvez pas forcément. Et nous tenons évidemment à ce que cette liberté et cette tolérance soient réciproques en provenance de l’ancien monde.
Retrouvez Les Cagots sur :
– leur groupe Telegram
– leur site internet
Propos recueillis par Yoann pour Le Média en 4-4-2